13 janvier 2012
Bravo l’artiste!

Voilà c’est fait. The Artist, vient de remporter le titre de la meilleure comédie, Jean Dujardin celui de meilleur acteur de film de comédie et de la meilleure musique originale, malgré le délire de Kim Novak qui s’ est déclarée comme violée eu égard à l ’emprunt fait à Hitchcock (????). De quoi laisser les plus grands espoirs pour les Oscars et confirmer que le lobbying en bonne et due forme réalisé par un seul homme, son distributeur américain, le producteur Harvey Weinstein a payé.

Pour tous ceux qui, comme l’auteur de ces lignes, ont déjà approché Harvey Weinstein -prononcez Waïne-Stine surtout !- aucun mot ne pourrait retranscrire l’immensité et le charisme de cet américain vraiment « bigger than life ». Rappelez-vous du personnage du producteur dans l’immense Barton Fink des frères Coen : Harvey Weinstein c’est lui. Un producteur tel qu’Hollywood en a connu au début de son industrie, à une époque où Hollywood fut bâtie par de riches banquiers juifs fraîchement arrivés de New York, les « moguls ». Lui-même juif new-yorkais désireux de régner comme un maître sur la cité des anges,  sa barbe de trois jours quotidiennement entretenue, représente à merveille l’esprit passionné,  mais toujours « under control » de cet enfant terrible de l’industrie cinématographique américaine. Ses mots sont comptés, et prononcés avec la solennité d’un acteur shakespearien allaité au Bourbon.

Homme de paradoxe

Physiquement, Harvey c’est John Belushi dans les Blues Brothers- le Stetson et les cheveux en moins. Jamais vous ne verrez le producteur, digne des anciens nababs d’Hollywood, mettre de côté son costume et sa cravate noire. Il cultive les paradoxes : à la fois grave et comique, gras et sensible, il peut foutre en l’air une société de production (Miramax en l’occurrence) après que celle-ci s’est faite racheter par Disney.

Il y a deux Harvey Weinstein. Celui qui fonda, avec son frère Robert, en 1979 ce qui allait devenir la plus grande société de production du monde par son influence, Miramax, et celui qui tua cette même maison en 2005. Le premier est bien connu des trentenaires actuels. Il aurait créé ce que l’écrivain Peter Biskind appelle la « nouvelle cinéphilie », un cinéma d’hommages, branché et indépendant. A son palmarès, tous les films de Tarantino et de Steven Soderbergh, et les palmes d’or qui vont avec Sex mensonges et vidéo en 1989, Pulp fiction en 1994. Le cinéma américain entre alors, au début des années 2000, dans une nouvelle ère, où le cinéma indépendant truste le marché, mélange de » cool » et de violence graphique, tandis que le cinéma classique hollywoodien essaye d’exister tant bien que mal, mais les jeux sont faits. Hollywood ne lui pardonnera vraiment jamais. Un homme controversé est né, tout-puissant.

Billy the Kid

« Quand vous êtes Billy the Kid et qu’autour de vous on meurt de causes naturelles, tout le monde va penser que vous les avez tuées ». Si cette phrase souligne bien sa grandiloquence et la grandeur de son égo, elle fait surtout suite à la polémique sur l’oscarisation du film » Slumdog Millionaire ». Nous sommes début février 2009, tous les bulletins de vote pour les Oscars ont été envoyés et le jour même, tollé général : on apprend que l’équipe du film de Danny Boyle aurait exploité des enfants de bidonvilles. Weinstein est alors montré du doigt comme l’homme qui a lancé la rumeur, lui qui produit le petit film britannique « The Reader ». Au final, c’est » Slumdog Millionaire » qui l’emportera, mais la trace, indélébile, est là : Weinstein serait capable de tout. Y compris, en 2002, d’accuser un membre de l’équipe du film oscarisé « Un homme d’exception » de Ron Howard, d’antisémitisme. Et comme chacun sait, le bouche-à-oreille et les gossip vont bon train à Hollywood…

Roi du marketing

Depuis qu’il a fait exploser en plein vol sa société Miramax, Weinstein est devenu le maître en matière de marketing pré-Oscars. La raison est assez simple : il a lui-même inventé le concept. Prenez « Le discours d’un roi » qu’il a fait gagner dans toutes les catégories l’an dernier. Quelques jours seulement après que le film ait été sélectionné pour concourir, il organisait une soirée dans le plus prestigieux et glamour hôtel du « golden Hollywood », le Château Marmont, sur Sunset Boulevard. Une soirée assez atypique dans la mesure où les invités, pour la plupart les membres de la MPAA – Motion Picture Association of America, furent reçu ni plus ni moins que par Ridley Scott, Mick Jagger ou Jennifer Lopez. Au milieu de cette orgie qui n’aurait pas déplu à Howard Hughes, on pouvait y voir Harvey se presser dans le salon tamisé de l’hôtel à la recherche des possibles mécontents. Heureusement pour lui, ils étaient peu nombreux. Deux semaines plus tard, « Le discours d’un roi » raflait les quatre principaux Oscars.

C’est donc sans scrupules et avec un sens publicitaire aigü que Weinstein a orchestré la campagne pré-Oscars de The Artist, fait d’un mélange de projections au coeur de l’Amérique profonde et d’autres, réservées aux grand pontes d’Hollywood. Une rumeur -ce qu’il affectionne le plus- s’est alors répandue, chacun voulant voir ce fameux « film français tourné en noir et blanc en quelques jours à Los Angeles par un réalisateur au nom imprononçable ». Le film est donc passé du statut de fascinant objet marketing à celui de phénomène viral emportant tout sur son passage. De quoi confirmer que si  « Vous ne pouvez pas influencer les votants aux Oscars. Il y a une seule chose que vous pouvez faire en travaillant dur, c’est  amener les gens à voir votre film ». Voilà ce qu’il a donc fait, aidé par toute l’équipe qui n’a pas hésité à parfaire son anglais, faire la tournée des talks shows et faire totalement oublier que le film est français pour assurer à l’américaine le résultat de ce vote et assurer le prochain, celui des Oscars dans un petit mois…

Par Benjamin Walter

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