10 octobre 2011
A vif

Au Théâtre de l’Atelier, un cri éclate, il durera une heure trente. Un cri lancé par Dominique Blanc, un cri si fort, si âpre, si nourri de son désespoir absolu que l’on oublie qu’il est porté par cette extraordinaire comédienne. Que devant nous se trouve une femme, torturée par l’absence de celui qu’elle aime, et pour lequel, elle envisage le pire- qu’il puisse ne pas revenir.
Un cri de douleur et un cri d’amour, qui oscille entre la chute de l’âme en un atroce silence devant le téléphone qui ne sonne pas. Soudain une certitude folle : il reviendra  bien sur ! puis le doute affreux,  et s’il ne revenait pas !
Et sur le chemin de la rue, de la part de la gardienne, puis de la boulangère, et d’autres silhouettes à peine entrevues, surgit, lancinante, la question, toujours la même « Avez-vous des nouvelles ? »
Dominique Blanc avance dans l’indicible, alors que les tous premiers survivants reviennent des camps, elle est à l’hôtel Lutétia et voit les trois premiers êtres qui, apparaissant au regard des vivants font savoir par leurs corps ravagés, ce que «l’on ne savait pas».
Dominique Blanc entre alors dans une douleur dont le cri va s’enfler, lorsque « Lui » aussi, revient, porté, dissimulé par ses amis dont un certain Morland, qui lui évite la décontamination, un temps infini pour un homme en bout de vie.
Le cri alors ne va cesser d’enfler, il perce et des ondes hors du réel traversent la salle, atteignent le public dans ses tripes. C’est Marguerite Duras qui nous hurle au visage « Ceux qui ne peuvent entendre ce que je vais dire, ceux que cela va choquer, je les conchie ». On pense en voyant Dominique Blanc sur scène  à ce cri  d’Edward Munch; on retient son souffle pour entendre l’insupportable, la descente aux enfers organisée, préméditée, diligentée par des hommes envers d’autres hommes. On retient alors son souffle, on l’élève pour être à la hauteur de l’œuvre, de Marguerite Duras et de Dominique Blanc, belle de son amour, noble par sa douleur, grande, très grande actrice.

M.R.

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