15 janvier 2012

Du temps de Jules- qui fut mon chien avant Jim, bien connu des lecteurs du Pariser- il m’arrivait souvent de le récupérer lorsqu’il avait fugué-il était spécialiste de la chose- au Balzar, cette élégante brasserie de la rue des Ecoles, où il savait qu’on lui donnerait sans coup férir les restes d’un gigot remarquable. Ce chien avait très bon gout. Voilà pourquoi, je retourne volontiers dans ce restaurant lorsque j’ai envie de croire pendant deux heures que oui, la vie peut être douce, me faire dorlotter par le chef de salle et ses serveurs, efficaces sans obséquiosité, attentionnés sans familiarité, bref tout l’esprit de la brasserie parisienne à des prix raisonnables, et dans l’assiette, quelque chose d’honnête et de nourrissant.

Ce samedi gris de janvier, mois ô combien sinistre- lever du soleil 8h40, coucher 17h17- où l’on ose même plus vous souhaiter une bonne année vue la morosité avec laquelle elle commence- le triple A perdu, de quoi vous enfoncer encore- je poussais donc sur un coup de tête la porte, voyant dès l’entrée que cela serait compliqué; deux enfants, deux trottinettes, le chien bref, vu le monde, « malgré toute ma bonne volonté, madame » comme me le confirma avec un grand sourire le maitre d’hôtel, je n’aurais pas ce jour là accès à une table nappée de blanc ni au beurrier avec du pain frais, qui vous donne l’assurance immédiate qu’on va bien s’occuper de vous. Qu’à cela ne tienne, le restaurant promis, l’idée ayant fait son chemin de mettre pour une fois les pieds sous la table, c’est place de la Sorbonne qu’une autre brasserie bientôt nous accueillit. « Ah, vous avez un chien? venez donc dans le petit salon au fond, vous serez au calme » me dit un premier serveur. Devant mon refus, très gentiment, on nous proposa une table, vue sur un palmier et la place, rien à dire. Je me disais même que c’était décidément du snobisme que de vouloir aller dans ces brasseries un peu chics alors que tant d’établissements plus simples, tout aussi agréables et moins chers existaient. Le menu Spider man acheva de convaincre les enfants. Et pour une mère fatiguée, des enfants heureux, c’est déjà gagné. Le pichet arriva et là, horreur, les verres étaient tous rayés, genre verre de cantine. « Ils sont propres vous savez » me dit le garçon, « on fait ce qu’on peut » ajouta un autre, qui m’en redonna un autre -pareil. Bon, je tentais le beurre, arrivé en plaquette en même temps que deux assiettes pour les enfants remplies de frites froides, d’un steak haché surgelé et d’un poulet sec comme le désert de Gobi. La purée accompagnant mon magret, sortie d’un sachet était elle aussi froide et la viande nageait dans une sauce industrielle où le miel était un vague souvenir.Renvoi donc en cuisine avec l’espoir, qu’à défaut de bien manger, je parviendrais- avec un fol espoir-à avoir quelque chose de chaud. « Elle est trop bonne l’eau »-s’écria ma fille; ouf, Perrier sauvait donc le déjeuner, pour une courte durée car horreur, un écran plat sur le mur à gauche, branché sur MCM et bientôt mes enfants n’étaient plus là, happés par les images de clips débiles diffusés en boucle. « Si tu pouvais l’éteindre, on regarderait pas » me dirent-ils; vu que j’en étais à trois assiettes renvoyées en cuisine, je m ‘abstenais, trop occupée de toutes les façons à tenter de couper l’ entame de mon magret qui finit, vu la dureté, sous la table au grand plaisir de Jim, ravi, il faut dire qu’après des croquettes Fido, cela relevait pour lui du nirvana…« On est dans un très joli restaurant donc tu te tiens bien » lança mon fils à ma fille, « on est dans un très joli restaurant donc tu arrêtes de râler lui répondit-elle. Le patron désireux de se rattraper vint discuter avec eux- histoire de comparer avec mes enfants très au fait des bonnes adresses que » Macdo c’était caca »- ce sont ses mots, et « Quick c’était mieux, en plus il y avait les jeux ». Jim, lui était en plein conciliabule avec le chat de l’établissement, ressemblant étrangement à Socks, célèbre félin jadis à la Maison Blanche sous Clinton. Le nom de celui ci? Il en avait plusieurs, Pépito entre autre; je songeais en tout cas qu il ne risquait pas de s’appeler Brillat Savarin…C’est alors que mon fils s’écria devant la crépe informe servie en dessert, » maman, le sucre il est bon « ; De quoi me remonter le moral, délesté de 50 euros avec la maigre satisfaction de ne pas avoir à débarasser et faire la vaisselle. Et puis, grâce à la nappe en papier, à la différence de celles bien repassées du Balzar- ah le Balzar, comme il paraissait sans doute bien loin- d’avoir pu griffonner quelques notes pour vous livrer cette petite histoire…d’un déjeuner passé dans un piège à touristes, comme me le confirma mon épicière. Voilà en tous cas de quoi leur donner une bien belle image de ce qu’est la cuisine française …

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