26 janvier 2014
Guy Martin/ A ce gardien-là

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Cette devise, au pluriel, est celle de la Savoie. Elle sied parfaitement à celui qui l’a quittée il y a plus de vingt ans pour s’installer dans les jardins du Palais Royal, gardien infaillible d’une certaine idée de la gastronomie française. Guy Martin est un des grands chefs d’aujourd’hui, à la tête de ce joyau qui fête cette année ses 230 ans, Le Grand Véfour, ainsi que de deux autres restaurants au sein de maisons prestigieuses, la Cristal Room de Baccarat et la boutique historique de Guerlain sur les Champs Elysées. Rajoutez un restaurant italien rive gauche, et vous aurez une idée du royaume de celui qui à l’âge de 20 ans rêvait de devenir le nouveau… Mick Jaegger! Mais sa mère veillait aux fourneaux et sur lui; la cuisine le rattrapa comme une évidence, « un plaisir plus qu’un travail », pratiquée toutefois comme un sacerdoce;  il trouve néanmoins le temps d’aller voir chaque semaine des expositions, lire plusieurs livres à la fois – de Camus à Musso – et animer également une émission sur TV5 filmée dans ses ateliers du 8ème arrondissement. C’est toutefois au sein de son navire amiral, Le Grand Véfour, dans le petit salon privé du premier étage, là où Napoléon aurait rencontré Joséphine, entre des lithographies de Foujita et de Cocteau, qu’il nous reçoit, avant qu’il ne revête sa simple tenue blanche de chef, sans son nom brodé dessus à la différence de tant d’autres…

Plusieurs restaurants, une émission de télévision, on est obligé d’avoir plusieurs casquettes pour être un chef reconnu aujourd’hui?

J’ai toujours eu envie de faire plusieurs choses en même temps tout comme les peintres ou les écrivains qui ne se limitent pas à une oeuvre. C’est pour moi diversifier les envies et apporter un maximum aux autres.

La transmission est au coeur de votre savoir semble-t’il, avec notamment cet atelier de cuisine…

C’est en effet pour moi vraiment important. La connaissance, c’est la liberté, pouvoir choisir un métier. Dans l’atelier parents-enfants, c’est bien sûr la transmission mais aussi de pouvoir partager un moment ensemble qui est recherché, lorsque tant de familles sont de plus en plus éclatées. C’est un temps où l’on peut se retrouver avec son père, sa mère qui sont de plus en plus occupés dans nos vies modernes.

Vous avez été récemment dans l’émission Masterchef junior en tant qu’invité, c’est important de passer à la TV?

Si je fais quelque chose, c’est parce que je suis convaincu, parce que j’aime cela; sinon je ne le fais pas, ça ne m’intéresse pas. Aujourd’hui, j’ai la chance de pouvoir choisir en toute liberté.

Vous animez aussi une émission sur Tv5 sans être pour autant comme dans les émissions de cuisine classique aux fourneaux.

La plupart du temps, la star c’est le chef, or dans Epicerie fine, c’est le produit. On montre comment on transforme la matière. Je voulais mettre en avant les producteurs, les pêcheurs, les bouchers. La plupart sont d’ailleurs en danger et n’existeront vraisemblablement plus dans des années. Reste qu’avec cette émission, on a la chance grâce à la diffusion internationale de TV5 de toucher et d’être vus dans le monde entier. Et de permettre à ces producteurs de vendre à l’étranger.

D’autant que les Français se sont mis, de nouveau, à cuisiner chez eux avec une offre de plus en plus vaste entre Internet, les livres et les produits en magasins!

C’est vrai que les gens s’y sont remis, ne serait-ce que pour des plats très simples; une fois qu’on s’est lancé, l’appréhension n’est plus la même. Même si cela peut rester très compliqué pour certains.

Quel est votre rapport à la nourriture, vous êtes en permanence en cuisine?

La semaine, oui, je suis tous les jours au Grand Véfour; je ne peux ni déjeuner ni dîner avec ma famille. Je suis en revanche, et c’est nécessaire pour eux et pour moi, fermé le samedi et le dimanche. Hors du travail, je cherche toujours le bon produit même si c’est très simple comme une omelette, ce n’est en tout cas jamais une contrainte.

Comment s’organisent vos journées?

Petit déjeuner  avec mes collaborateurs vers 7 h 30, puis de 11h 30 à 14 h 30 je suis en cuisine; l’après-midi, dégustation de vins et des nouveaux produits. Puis le soir, je suis de nouveau à 18 heures en cuisine pour un service qui débute à 20 heures. Mes nuits sont courtes, en moyenne cinq heures pour pouvoir lire.

Pas de passage à Rungis?

Je n’y ai jamais été! On a des producteurs qui nous envoient en direct les produits comme la volaille de Bresse, sinon, on se fait livrer.

Comment êtes-vous venu à la cuisine?

J’arrive d’un petit village près de Bourg Saint-Maurice, en Savoie, avec ma mère qui cuisinait très bien; elle avait pris des cours de cuisine comme les jeunes filles de bonne famille à l’époque. Elle faisait des feuilletages, des pâtes à choux, bref, une vraie cuisine bourgeoise pour nous tout seuls, avec mon père et mes frères! Du coup, à 18 ans, je ne savais pas cuisiner mais je savais manger, reconnaître ce qui était fin.

Vous n’aviez pas eu l’occasion de l’aider?

Non, ça ne m’intéressait pas du tout, je ne pensais qu’à la montagne, le ski extrême, l’alpinisme. Puis j’ai créé un groupe de rock et j’ai fini pizzaiolo! Mais comme j’avais toujours vu dans ma famille les gens travailler, j’avais acquis une certaine rigueur avec l’idée de bien faire les choses et sinon, de s’abstenir. Faire les choses à fond, avec amour et passion. Lorsque je suis rentré au Château de Coudrée, dans un Relais et Châteaux, j’ai tout donné, en arrivant sans référence quinze jours avant! J’avais 22 ans. Après ça a été le Château de Divonne, une première étoile puis les autres.

Et le grand Véfour?

J’y suis arrivé en 1991, comme chef et directeur à la demande de Jean Taittinger; j’ai besoin d’être libre pour que cela fonctionne bien. Lorsque je suis venu pour la première fois visiter, je ne voulais pas quitter le Mont Blanc, la montagne mais je suis tombé amoureux de ce lieu.

Qu’est-ce qui fait la différence d’après vous entre les restaurants étoilés?

Ce n’est pas les étoiles qui la font mais les personnes chez qui vous allez. La personnalité qui s’exprime dans l’assiette. Je fais l’accueil des clients, mais je ne vais jamais en salle. Pour moi, on va d’abord dans un restaurant pour manger même s’il faut être en harmonie avec sa clientèle.

Comment gérez-vous les passages obligés comme le classique pigeon Prince Rainier?

Il y a une liberté totale. Pour ce plat précis, je voulais laisser une trace de Raymond Oliver; c’est le seul plat qui reste, après ses 37 ans passés ici,  je pensais que c’était important de lui rendre hommage.

 

Guy Martin ou le bonheur de cuisiner pour les autres. Ne répond-il pas que son plat préféré est « celui que l’autre adore »? Voilà qui confirme que, si la cuisine est devenue un vaste business, elle a su rester pour certains une affaire de générosité. Et pourquoi pas l’occasion de céder à une certaine ivresse, avec pour ce chef étoilé, l’envie « seulement d’une bonne bouteille de champagne Ruinart » si c’était la fin du monde…

Par Laetitia Monsacré

 

 

 

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