29 novembre 2011
Fou de Dieu et d’une femme

L’audace, ces jours-ci, vous pouvez la trouver du côté de la Place Pigalle. A la Manufacture des Abbesses, petit théâtre ambitieux, se joue jusqu’au 28 janvier en toute discrétion La Confession du Pasteur Burg, adaptation du roman de Jacques Chessex dont il n’est pas excessif d’affirmer qu’il est l’un des plus grands auteurs suisses( prix Goncourt en 1973). Longtemps, dans son pays, l’auteur, mort en 2009, ne fût pas en odeur de sainteté. Son « Pasteur Burg », jugé blasphématoire, fit scandale à sa sortie en 1967. Au point que Chessex fut menacé d’interdiction d’enseigner. C’est ce texte là, justement – l’histoire d’un pasteur vaudois rigoriste qui tombe amoureux de Geneviève, l’une de ses catéchumènes – que Didier Nkebereza a choisi de porter à la scène pour un monologue d’une heure d’une densité hallucinante et d’une troublante modernité. Car le pasteur Burg est un fou de Dieu. Un illuminé de la foi. Ses sermons, furieux, finissent par déstabiliser les villageois qui en réfèrent au synode. Dès lors, son intégrisme, qui semblait ne demander que ça, se transforme en haine. Ces pêcheurs, il les fera payer. A commencer par Geneviève, fille d’un notable débauché. Ce que Burg n’avait pas prévu, c’est qu’il en tomberait éperdument amoureux. Et que tout s’écroulerait autour de lui. Car Burg est homme avant d’être pasteur. Et cet homme se trompe depuis le début. La solitude et la crainte sont mauvaises conseillères… La haine qu’il déverse sur les villageois est, en vérité, intrinsèque. Son extrémisme n’est pas voué à Dieu mais bien l’expression, détournée, de ses propres démons. Ses démons d’homme. Burg est une brebis égarée, un croyant brûlé par sa propre foi. Alors quand l’amour vient s’en mêler, tout se brouille. Et la culpabilité devient insoutenable en même temps que la flamme du désir s’embrase.

Frédéric Landenberg interprète le pasteur Burg. Seul en scène avec ce texte immense et ce personnage d’une complexité vertigineuse, il est magistral. Sa foi le brûle, puis le désir. Il passe de l’hystérie au désespoir, de la violence à la douceur avec une incroyable malléabilité. Il se tord de douleur face au doute, se recroqueville croulant sous tant d’angoisse. Il est à la fois le pasteur, Geneviève et les villageois. Il y a du Caubère en lui, dans cette façon de grimacer, dans sa virtuosité à incarner tous les personnages, tous les états. Le metteur en scène, Didier Nkebereza, a choisi le dénuement total. Pas de décor, juste une scène vide et un acteur. Comme pour mieux dépeindre ce personnage démuni face à tant de violence en lui. Une interprétation excessive pour prôner la modération. Le metteur en scène et le comédien ont saisi comme personne la vérité du pasteur Burg. Chessex lui-même, qui a vu la pièce avant sa mort, en a convenu. « Maintenant, grâce à vous j’aime mieux mon livre », a-t-il déclaré au comédien après sa prestation. Peut-on imaginer plus beau compliment ?

Par Sarah Gandillot

Du mardi au samedi, à 19 h, à la Manufacture des Abbesses
La correspondance entre Jacques Chessex et Jérôme Garcin, son grand ami, sort chez Grasset le 25 janvier.

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