16 mars 2013
Les grands-mères aux enfants volés

Alors que le monde catholique vient d’élire un pape argentin, déjà son passé fait l’objet de toutes sortes de rumeurs… De quoi rappeler à tous que le 24 mars 1974, un coup d’Etat en Argentine a plongé des milliers de personnes dans la « subversion », selon les termes du nouvel Etat qui,  avec à sa tête une succession de junte militaire a appliqué une politique de tortures et d’épuration systématique pour tous ses opposants. Fipa d’or cette année-autant dire la distinction suprême, ce documentaire d’Alexandre Valenti  revient sur le procès en 2011 qui a jugé ceux, dont deux anciens présidents du pays, ayant permis un enlèvement de 500 bébés enlevés à leurs mères avant que celles-ci ne soient tuées. Puis ces bébés ensuite « adoptés » par des mères en mal d’enfant, proches du pouvoir-  un véritable  » butin de guerre ». Ce sont les célèbres grands-mères de la place de Mai qui, après cette terrible période de huit années de répression avec 30 000 disparus, et des milliers d’exilés, se sont battues les premières, de façon bien dérisoire, avec des ecclésiastiques leur sommant même de se taire . Les retrouver? « C’est comme chercher une aiguille au milieu d’une botte de foin. » Et pour les enfants devenus grands, « voir son père comme son ravisseur, son geôlier » et réaliser que leur mère « a été traitée comme un objet ».

 Femmes droguées et jetées d’avions, vivantes, au-dessus de l’océan.

Une survivante de ces camps de la mort témoigne, les tortures, et pire encore peut-être la dépossession de soi-même. Comme du bétail, séquestrées à la ESMA, Ecole maritime dans un quartier résidentiel. Elles seront des centaines à accoucher, enchaînées puis privées de leur enfant au bout de quelques jours. Au même moment en 1978, la coupe du monde de football, est organisée à quelques centaines de mètres du centre de détention. « On entendait la foule qui fêtait la victoire » raconte une des rares rescapées, ayant échappé au dernier voyage avec des avions militaires qui survolaient l’océan pour y jeter ces femmes et hommes âgés d’à peine 20 ans, drogués, et déshabillés, dont on retrouvait ou pas le corps supplicié sur les côtes d’Uruguay. A moins qu’ils ne finissent dans un des nombreux charniers découverts par la suite.

« Nous ne savions pas que ce serait pour toute une vie » raconte une de ces grands-mères qui se souvient qu’en 1977, elles commencèrent à se réunir dans des salons de thé, en se passant des papiers sous la table. Parce qu’elles sont des femmes, le pouvoir ne les prend pas au sérieux; on les appellera d’ailleurs les folles de la place de Mai, où tous les jeudis, elles se retrouvent pour tourner inlassablement. C’est d’abord à l’étranger qu’elles seront entendues. Puis le retour à la démocratie. En 1983 commencera un long chemin entre découvertes scientifiques avec l’ADN et jugement des généraux régulièrement amnistiés. « Vivre le plus longtemps possible pour les retrouver« , voilà ce qui fera tenir chacune d’elles, surtout que les retrouvailles ne sont pas toujours évidentes avec des bébés devenus des adultes qui voient leur identité s’effondrer et des drames jaillir comme ce père ravisseur qui avoue à son fils avoir tué lui-même ses parents biologiques…. Le président Kirchner sera le premier à vraiment leur rendre justice et à demander pardon , 28 ans après cette page horrible de l’histoire du pays. A ce jour, 107 enfants sur 500 ont été retrouvés. Et les vieux messieurs d’aujourd’hui qui furent les responsables de ces crimes ont enfin été jugés, de vingt à cinquante ans de réclusion pour l’ex-président, le général Vitela qui osa dire que les mères se servaient de leur bébé comme d’un bouclier humain. Voilà justice enfin faite même si cela arrive après bien des années d’impunité et que de nombreux enfants ne sauront jamais qu’ils ont été enlevés. Certains préfèrent-ils ne pas le savoir…

AW

Argentine, les 500 enfants volés de la dictature, diffusé sur France 5 mardi 19 à 20 heures 40

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