11 mars 2013
Felix Marquardt/ L’humaniste libéral

« La France si tu l’aimes, tu la quittes ». C’est avec cette expression  volontairement provocante que Félix Marquardt s’est fait connaître des médias en septembre dernier, en créant le site Barrez vous ! avec  le rappeur Mokless et le journaliste de Canal + Mouloud Achour. Une entrée dans la lumière pour ce jeune patron de 38 ans qui ne possède pas de passeport français-il est Autrichien par son père, avocat d’affaires et Américain par sa mère – beau gosse, parlant cash, bref le candidat idéal pour faire le buzz, nouvelle technique reine de communication à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux. Les réseaux, voilà d’ailleurs le fond de commerce de cet « enfant terrible » viré de toutes ses écoles, ancien producteur de rap, qui a vu son salut, après dix-huit mois de chômage, en devenant responsable de la communication du Herald Tribune, « après avoir arrangé mon CV ». La fin qui justifie les moyens… Tout comme pour ces acteurs émergents auxquels il aspire à donner toutes les chances via ses dîners Emerging Times où il pratique le Power Mapping, du lobbying mâtiné de ses convictions personnelles. C’est en pleine préparation pour celui qui a lieu le soir même que cet entretien a lieu, dans son bureau haussmannien de la rue de Mirosmenil.

Vous rentrez tout juste de Jakarta, vous y étiez pour quoi?

J’ai des clients là- bas. A la fois des clients politiques, business et ONG; c’est pour moi le tiercé gagnant,  je fais toujours les trois partout.

Il s’excuse et répond au téléphone en anglais, à Tony Fernandes, le patron d’Air Asia qui sera l’invité d’honneur de son dîner de ce soir.

En quoi consistent ces dîners Emerging Times?

Cela consiste à faire une liste et s’assurer que tous les invités viennent. Et ensuite que cela fasse « sens ». Les gens viennent car il y a une ligne éditoriale assez forte, celle que j’ai précisée dans ma tribune parue en septembre dernier dans Libération.

Vous aimez parlez cash avec ces gens-là qui, en raison de leurs responsabilités, n’y sont plus forcément habitués? 

A nouveau, nous sommes interrompus. La question se perdra… Il reprend, en bon communiquant, sur le message qu’il souhaite donner.

Aujourd’hui, il faut être conscient que ce ne sont pas les pays qui vont changer les choses, mais des hommes et des femmes. La vérité, c’est que l’on ne sait pas à cet instant précis qui ils sont. Les 500 de demain, voilà ce qui m’intéresse. On vit dans un monde où il y a de plus en plus d’acteurs.

Je suis un inconditionnel de Davos, cela fait huit ans que j’y vais pour ces rencontres incroyables que l’on peut y faire dans les petites jeeps qui font le tour de la ville. C’est le seul lieu où l’archevêque de Dublin et le Mufti de Sarajevo peuvent se rencontrer…

Il continue, sans nul besoin d’être relancé.

Davos, c’est une parabole de l’évolution du monde. Il y a quarante ans, c’était là où se retrouvaient des businessmen pour se diviser les richesses du monde. A la chute du mur de Berlin, arrivent les Chinois, les Indiens , les Brésiliens mais ils sont encore en périphérie et viennent comme se prosterner devant l’Ancien Monde qui détient toutes les manettes. Cette année, l’événement a été le dîner organisé par l’Indonésie et l’an dernier, la soirée africaine. Il faudrait désormais qu’il y ait un pèlerinage qui emmène l’Ancien Monde dans le nouveau. C’est ce que j’aimerai faire avec mon forum Emerging time.

Vous êtes peu présent en Russie…

Je suis un libéral mais j’ai des convictions. Alors Poutine… Il y a d’autres endroits de la planète pour faire ce qui est ma spécialité: présenter en fonction des pays où l’on veut aller les dix, quinze personnes « clés »pour que mes clients y arrivent mieux et plus vite. Maintenant mon parti pris est très différent d’une simple agence de communication. Je suis un Atlantiste convaincu, avec l’idée d’élargir un maximum vers le Sud. Ce qui est en train de se passer est incroyable: c’est la première fois depuis 500 ans que des hommes blancs de plus de soixante ans, issus d’Europe de l ‘Ouest et d’Amérique du Nord ne prédestinent plus seuls à la destinée de la planète. Et moi, en tant que que progressiste et humaniste, je ne peux pas regarder cela avec une nervosité juste égoïste.

Le libéralisme, ce n’est pas les Français avant tout le monde; il est temps que les Chinois, les Indiens, les Indonésiens mangent… Défendre les pauvres mais seulement les « nôtres », c’est dépassé. Je pense que la jeunesse est de plus en plus consciente de cela. Et peut et doit aller à l’autre bout du monde pour y travailler. Ce que nous vivons comme une crise majeure n’est pas vécue ainsi par les deux tiers de l’humanité! Pour eux, c’est plus et c’est mieux chaque jour et il serait immoral d’en être tristes. Nous sommes en train d’entrer dans l’ère « post nations ». Ce ne sont pas les élus au pouvoir pour cinq ou dix ans qui vont sérieusement et de façon pérenne  résoudre des problèmes qui sont mondiaux et qui prendront au moins 50 ans pour trouver une solution. Les Etats auront toujours leur rôle à jouer mais ils ne seront plus que l’un des acteurs pour résoudre ce problème. Ce sont des groupes hyper flexibles qui y parviendront désormais; des grandes entreprises qui ont des moyens beaucoup plus importants que les Etats, des experts scientifiques et des représentants des ONG.

Voilà qui fait sens, le message est passé. Pour parler de lui, il faudra attendre le soir, là encore en étant sans cesse dérangés dans la tentative de faire se poser cet hyperactif chez lequel on détecte une vraie générosité. Comme d’autres journalistes, me voilà invitée chez lui, dans un appartement dominant le Pont Neuf pour voir ces fameux dîners. Coincée entre un scientifique et sa femme, je n’aurai pas l’occasion de faire mentir cette impression qu’entre son voisin de gauche ou de droite, un dîner en ville, c’est trois monologues qui se croisent. Quant à se faire tutoyer par Christophe de Margerie, le patron de Total, voilà qui n’a pas vraiment à ce stade, de quoi révolutionner la planète..

 

Par Laetitia Monsacré

 

 

 

 

 

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