17 janvier 2025
Ouverture manifeste de la 69ème Biennale de Venise

Pour la première Biennale de musique qu’elle dirige, Caterina Barbieri défend un éclectisme engagé sous le titre Au milieu des stars – formule qui rappelle que le cosmos ne connaît pas les frontières. En attribuant le Lion d’argent à Chuquimamani-Condori, c’est la fluidité des genres et des styles qu’elle célèbre avec un artiste transgenre dont l’inspiration même folk, pop, électro et traditions amérindiennes. Ce métissage accompagne la procession de barques et d’amplis qui ouvre l’édition 2025 du festival sur les eaux de l’Arsenale.

L’ancien complexe militaire accueille ensuite, au Teatro alle Tese, un concert qui, avec trois performances, balaie un large spectre esthétique, comme un manifeste du mandat de la compositrice italienne. La première, Travelling light de Rafael Toral, offre une juxtaposition de plusieurs styles mêlant ensemble instrumental et électro. Les amateurs ont plaisir à reconnaître l’univers sonore de l’artiste portugais, même si les accents jazz ou de musique d’ambiance synthétisent des formules, avec certes une appréciable variété, plus qu’ils n’explorent d’autres territoires. Le voyage n’en manque pas moins de séduction, à défaut d’innovations reconnaissables.

Into the blue de Bendik Giske invite en revanche à une véritable exploration du tissu et sonore, fascinante même pour ceux qui n’aiment pas le saxophone. Émergeant à partir d’un sas électro entre les deux pièces où les échos de stimuli auditifs esquissent, avec une étonnante efficacité suggestive, un espace acoustique perceptible aussi par les corps présents dans la salle, les modulations autour d’une simple cellule thématique ne se contentent pas de distiller une extase hypnotique, mais jouent également avec les phases répétitives en éveillant des sensations originales dans le spectre harmonique du saxophone. Dans une continuité entre la performance elle-même avec ses préludes et postules, soliste, instrument et auditeurs prennent part ainsi à une véritable expérience commune qui réinvente, à travers l’économie et l’apparente simplicité du dispositif, le rapport entre scène et public, tirant parti de la configuration non traditionnelle permise par le Teatro alle Tese.

Saxophone, électro et extase minimaliste

La troisième création mondiale de la soirée, Anomaly Index de Nkisi, requiert davantage de moyens, clavier, percussions électro et naturelles, ainsi que des sons enregistrés, avec un résultat plus proche d’un divertissement habilement maîtrisé. La jeunesse et la diversité du public y prend un certain plaisir, même si l’on n’est pas dans l’écoute magnétisée par le saxophone et les micro-altérations de son timbre de la page précédente.

Cette immersion sonore et spatiale est également au cœur de l’installation de Maxime Denuc, Elevations, coproduit par des institutions françaises et belges, et qui voyage pour la première fois en Italie. Au rez-de-chaussée de l’Arsenal, dans une des salles d’armes, l’auditeur se trouve face à des sculptures éphémères d’orgues alignés derrière une petite balustrade, à la manière d’un petit autel, tandis que des boucles hypnotiques de cet instrument associé à l’église baignent la pièce plongée dans une lumière modulée par Kris Verdonck, de l’obscurité à la douceur de l’aube.

Cette expérience d’apaisement musical se retrouve au Teatro alle Tese avec The Garden of Brokenness, création d’un minimalisme extrême de William Basinski. Les notes égrenées par les pianos à queue, à peine accompagnées d’effets percussifs et électro, distillent une extase aux confins du silence, enveloppée dans une pénombre où chacun peut s’asseoir ou s’allonger. L’évocation des moteurs de vaporetto dans la nomenclature, sans doute pour accentuer la couleur vénitienne de la performance, n’est guère en mesure de retenir l’attention du public. A cette fascinante décantation qui rappelle le travail de Feldman sur une quiétude sonore dilatant la perception du temps, la Speaker Music de Deforrest Brown Jr offre un contraste saisissant par une débauche de décibels et de jeux visuels plus proche de la techno.

Avec une large palette d’esthétiques et d’expériences, le week-end d’ouverture de la 69ème Biennale de Musique dilue, par la forme comme par les propositions, la sacralisation de la création contemporaine. La diversité des publics, avec une part certaine de la jeunesse, témoignent de la vitalité de la programmation de Caterina Barbieri.

Par Gilles Charlassier

Biennale de Musique de Venise, du 11 au 25 octobre 2025

Articles similaires