
Le croisement avec les arts numérique nourrit la programmation d’Aujourd’hui Musiques depuis plus d’une décennie. Après plusieurs éditions jalonnées d’installations sonores et visuelles, le festival privilégie depuis plusieurs années les formats spectacle et concert plus traditionnels – en apparence seulement. C’est ainsi que l’autre salle de la scène nationale du Théâtre de l’Archipel, El Mediator, accueille Pulse 1#, une soirée électro conçu par Franck Vigroux, avec le label allemand Raster.
La création que l’artiste, qui est ici à Perpignan comme chez lui, présente dans ce programme collectif aux côtés des trois performances de Byetone, Amélie Duchow et Gabor Lazar, porte une évidente empreinte berlinoise. Formant le duo Atotal avec Antoine Schmitt, le musicien français développe une ivresse électro où les boucles pulsatives font plonger le public dans une transe sonore qui se fait aussi spatiale avec les modélisations numériques. En noir et blanc le plus souvent, les pixels façonnent un Lego en perpétuel mouvement, où les silhouettes de gratte-ciels tutoyant l’infini se transforment en champ de blocs mobiles rappelant le Mémorial dédié aux juifs assassinés lors de la Shoah, situé près de la Porte de Brandebourg à Berlin. Le voyage à travers ces panoramas virtuels où l’imaginaire peut naviguer d’un paysage urbain à l’autre, traversant les continents de Chicago à Dubaï en passant par l’Allemagne, transforme les artifices de la modernité technique en une jubilation des sens. L’oeil, l’oreille et le corps ne font plus qu’un dans cette fête synesthésique remarquablement maîtrisée. Avec plus d’une tentation pour le dancefloor, le succès du public ne trompe pas dans cette irrésistible synthèse entre dynamique exploratoire et hédonisme spectaculaire.
La transe de Moondog
Le lendemain, le collectif Blindman propose un voyage dans l’univers de Moondog au fil d’arrangements et de transcriptions réalisés par Eric Sleichim, le directeur artistique de l’ensemble qui joue également du tubax, du saxophone, de la flûte traversière, de la guitare et de la basse électrique, et Ward De Ketelaere, autre multi-instrumentiste alternant percussions, clarinette, flûte à bec, guitare et piano électriques. Le septuor, incluant le quatuor de saxophones et les deux percussionnistes, font chanter, parfois avec des effets de vocalistes, les mélodies et les thèmes hypnotiques. Ce sont parfois de simples instantanés du temps qui passe – on imagine aisément la simple contemplation de moments ordinaires, devant la pluie ou l’automne. D’autres boucles sont portés par la quintessence de jeux rythmiques qui ne sonnent aucunement abstraits dans les réorchestrations contemporaines de Blindman. Tour à tour ludique et poétique, le programme séduit par sa fluidité évidente face à laquelle le public du Carré ne se trouve jamais intimidé. Accessible mais jamais galvaudée, telle est l’approche du collectif belge qui prolonge, à sa manière, la spontanéité du geste de Moondog, transsubstantiation de la science musicale.
En prélude de la soirée, Alex Augé présente deux pièces pour sax, batterie et basse, Time rebounds suite et Femen suite, qui n’ont pas peur de certains accents presque pop, dans un apéritif repris également le lendemain pour la clôture de l’édition 2025 d’Aujourd’hui musiques.
Clôture en danses
A voir la diversité du public venu dimanche en fin d’après-midi pour Rave Lucid de Laura Defretin et Brandon Masele, l’ouverture défendue par la directrice de l’Archipel, Jackie Collet-Surjus est une totale réussite. Sous les lumières de Judith Leray, et dans les costumes dessinés par Sting Masele et Emma Deat, les dix danseurs sur le plateau du Grenat célèbrent le métissage entre les virtuosités du hip-hop et de la breakdance, avec l’électro en fond sonore. Même dans les séquences plus extatiques, baignés d’éclairages aubéens, la création de Nikit, Ino & Fille de Minuit sert d’abord de faire-valoir à la vitalité contagieuse des interprètes. Dans la verrière du théâtre, un DJ Set attendait le public à l’issue du spectacle. Avec cette fête de clôture pour tous, les avant-gardes d’Aujourd’hui Musiques sont plus que jamais sans frontières.
Par Gilles Charlassier
Festival Aujourd’hui Musiques, Perpignan, novembre 2025












