19 juin 2024
Lille Piano Festival 2025 avec Marie Jaëll, Liszt, Ravel et Chopin

Rendez-vous désormais incontournable de la fin de saison, le Lille Piano Festival invite, pour son édition 2025, Célia Oneto Bensaïd, dans la Salle Descamps, au sous-sol de la Chambre de Commerce et d’Industrie. Engagée dans la défense des compositrices, souvent oubliées, la soliste française fait redécouvrir Marie Jaëll, pour laquelle Liszt vouait une grande admiration, avec trois extraits de son cycle inspiré par La Divine Comédie de Dante, mis en regard avec des pages du maître hongrois. Le tourbillon de la dernière des Trois Etudes de Concert se fait comme l’antichambre de Ce qu’on entend dans l’Enfer, descente hallucinée dans un monde souterrain effrayant. C’est dans Ce qu’on entend dans le Purgatoire que l’art de Marie Jaëll se fait le plus spectaculaire, tandis que, après les rythmes macabres de la Troisième Mephisto-Valse, que Liszt composa à la fin de sa vie, Ce qu’on entend dans le Paradis rayonne d’harmonies décantées et lumineuses. Célia Oneto Bensaid sait parfaitement tresser les pages de chacun des deux musiciens romantiques, avec autant d’efficacité poétique et narrative que d’attention pédagogique, à travers les quelques mots donnés au fil d’un concert qui se referme, après Aufenthalt, par une autre transcription que Liszt a réalisée d’un lieder extrait du Chant du cygne, la célèbre Ständchen, empreinte de tendresse réconciliatrice.

C’est dans la Salle de concert du Conservatoire que Bertrand Chamayou présente, en deux parties, son intégrale Ravel qu’il redonne en cette année du 150ème anniversaire du compositeur. Plutôt que la linéarité chronologique, le pianiste français associe les pièces par affinités et contrastes. Le bref Prélude fonctionne comme une ouverture à Miroirs, où la fusion des timbres et du rythme esquisse les grands lignes d’une compréhension devenue instinctive de la pensée musicale ravélienne, des textures arpégées des Noctuelles aux irisations pointillistes de La vallée des clochers, en passant par la palette évocatrice des Oiseaux tristes, et une dimension picturale d’Une barque sur l’océan qui se prolonge avec une tonalité hispanisante par ses effets de staccato de guitare dans Alborada del gracioso. Après un Menuet en intermède, le soliste confirme sa maîtrise des climats successifs au fil d’une toile sonore liquide et rayonnante dans une autre page de jeunesse, la Sonatine – Mesuré, Mouvement de menuet archaïsant et finale Animé – que prolonge une autre miniature, A la manière de Borodine, réinvention des tournures mélodiques et harmoniques du maître russe, avant le monument qu’est Gaspard de la nuit. On y reconnaît une science naturelle dans la caractérisation des frémissements aquatiques d’Ondine jusqu’à la féerie dramatique de Scarbo, en passant par les hallucinations du Gibet, à travers l’indivisibilité de la poésie et des ressources techniques de clavier.

Une magistrale intégrale Ravel

Le second concert s’ouvre avec le Valses nobles et sentimentales, qui s’enchaînent comme un kaléidoscope des différents visages de la valse, de la contenance aristocratique à l’encanaillement du piano-bar, en passant par les pudeurs de l’approche amoureuse. Le rythme ravélien est sa poétique même. Suivent deux pastiches, A la manière de Chabrier, souvenir des thèmes humoristiques de l’auteur d’España, et du classicisme viennois dans le Menuet sur le nom de Haydn. Après les bouffonneries de la Sérénade grotesque, écho d’Alborada del gracioso, et les éblouissements irrésistibles de Jeux d’eau, le Menuet antique illustre encore cette fascination pour les formes anciennes qui trouve son apogée dans la Pavane pour une infante défunte, d’une dignité sous laquelle affleure délicatement l’émotion, et plus encore dans le Tombeau de Couperin. où l’intelligence musicale du jeu s’épanouit dans une sensualité idiomatique de Ravel. Après le Prélude, une Fugue jouant habilement avec les codes du genre, avant une Forlane amidonnée avec gourmandise et un Rigaudon non moins savoureux. Un Menuet offre une courte pause avant l’ivresse d’une Toccata à la pyrotechnie qui referme avec une ivresse jamais gratuite cette intégrale parfaitement pensée.

La clôture au Théâtre du Casino Barrière, pendant les travaux sur la salle du Nouveau Siècle, revient à deux grands classiques du répertoire, avec l’Orchestre Symphonique d’Anvers, sous la direction de Karl-Heinz Steffens. Après quelques-unes parmi les plus connues des Danses slaves de Dvorak, Nikola Meeuwsen interprète le Premier concerto pour piano de Chopin. Le premier prix du concours Reine Elisabeth 2025 livre une approche prudente dans l’Allegro maestoso, sans doute en lien avec l’acoustique de salle, avant une Romance nourrie de sensibilité et l’allant du Rondo final. C’est surtout un exemple d’une coopération flamande par-delà la frontière franco-belge, qui se retrouvera, dans la prochaine saison musicale, avec la venue de l’Opéra des Flandres à Lille pour L’Affaire Makropoulos de Janacek.

Par Gilles Charlassier

Lille Piano Festival, juin 2025

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