20 janvier 2025
Les voix doubles des Incrédules à Nancy

Avec son laboratoire appelé NOX, Nancy Opera Xperience, initié au moment de la crise sanitaire, l’Opéra national de Nancy-Lorraine élargit le champ du répertoire lyrique par des formats nouveaux. Après Êtes-vous amoureux ? en 2021, vignettes multimédia réalisées à partir de témoignages enregistrés et diffusés dans divers points de l’espace urbain alors que les salles restaient fermées, et Rendez-vous près du feu l’année suivante, saynètes jouées sur la place Stanislas investie par le Jardin éphémère et en contrepoint des représentations de Like flesh de Sivan Eldar, Les Incrédules poursuivent l’aventure avec un projet sur la grande scène de l’Opéra de Nancy.

De Samuel Achache, on connaît le travail au carrefour du théâtre et de la musique, qui mêle dans une même écriture les mots et les notes, dont Sans tambour offrait un exemple magistral. On ne pouvait que suivre le metteur en scène français dans son exploration des hybridations du discours. Après la Symphonie du ciel qui composait sur les intonations de voix enregistrées, l’opéra Les Incrédules développe l’irruption du miracle dans la vie quotidienne sous la forme d’une fiction lyrique. A partir du retour chez sa fille d’une mère qui vient d’être déclarée décédée, le livret Samuel Achache et Sarah Le Picard interroge les rapports entre les générations, les espérances et les frustrations de la vie, avec un bonheur divers au fil de onze scènes. Jouant avec un prosaïsme que ne démentiront pas les costumes dessinés par Pauline Kieffer, la dilatation du crédible jusqu’aux confins de l’absurde, qui est l’une des marques de fabrique de l’univers de Samuel Achache, réserve des moments poétiques, tels le quiproquo du livreur, les métaphores filés du tisserand, ou encore les dialogues avec la froideur de la science incarnée par le légiste ou le laborantin. Mais, dans la scénographie modulaire de Lisa Navarro, sous les lumières de César Godefroy, l’ensemble n’évite pas toujours les longueurs et les recettes éprouvées, en particulier dans la parodie religieuse, que certains trouveront presque potache.

Des interprètes engagés

L’osmose entre texte et musique, fruits d’un travail collectif d’interprétation qui s’inscrit dans l’écriture au plateau pratiquée au théâtre, s’affirme dès le premier tableau, dans le dédoublement de la fille et de la mère entre voix parlées et chantées. Ici homophonies en écho, là plus dialectique, le procédé constitue l’une des colonnes vertébrales du spectacle, plus sûrement sans doute que la partition à quatre mains de Florent Hubert et Antonin-Tri Hoang, dirigée par Nicolas Chesneau. Si l’orchestration de Pierre-Antoine Badaroux séduit par un iconoclasme discret et habile avec ses pupitres sur scène – la violoniste Marie Lambert et le violoncelliste Pierre Fourcade, de l’Orchestre de l’Opéra national de Nancy-Lorraine, clarinettes et saxophones d’Antonin Tri-Hoang, accordéon et bandonéon de Sébastien Innocenti qui incarne un prêtre, et Thibault Perriard, laborantin aux percussions et guitare qui a conçu le Miraclophone, structure métalliques de cordes, frottées ou frappées, dont les accents ponctuent la soirée jusqu’à ses derniers accords suspendus – cette musique éclectique créée en commun tient lieu d’abord de trame sonore qui conduit le récit, à défaut de le façonner.

Reste au moins l’engagement des deux chanteuses, Jeanne Mendoche, à la clarté lyrique, et Majdouline Zerari, au timbre plus enveloppant sinon maternel, complémentaires dans le duo fille-mère et secondées par leurs doubles comédiennes, Sarah Le Picard et Margot Alexandre, ainsi que la profonde sagesse du tisserand résonnant à travers les graves de René Ramos Premier. L’essentiel de ces Incrédules réside la dynamique exploratoire impulsée par le programme NOX, qui proposera un nouvel opus en 2026 avec un diptyque I don’t where to put all my tears et Curlew River.

Par Gilles Charlassier

Les Incrédules, Opéra de Nancy-Lorraine, juin 2025

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