Rendez-vous automnal de la création contemporaine sous toutes ses formes qui en 2016 a pris le relais de Novart, le FAB, le Festival international des Arts de Bordeaux Métropole, invite les forces de l’Opéra de Bordeaux pour une soirée inaugurale dans les jardins de l’Hôtel de Ville, où la transdisciplinarité du festival rejoint le projet d’ouverture de l’Opéra de Bordeaux porté par Emmanuel Hondré dès sa première saison – et dont s’est fait l’écho la diffusion du premier concert de la saison le 10 septembre dernier. Alors que l’humidité a rafraîchi la soirée, le public est invité à déambuler autour des Strandbeests de Theo Jansen, créatures en tubes de PVC imaginées par le plasticien néerlandais pour déambuler sur les plages de son plat pays menacé par la montée des eaux. Ces sculptures mouvantes entrent en résonance évidente avec le changement climatique, et l’engagement politique de municipalité emmenée par Pierre Humic depuis 2020.
Leur construction extrêmement minutieuse pour reconstituer le mouvement vivant a beau rencontrer de drastiques limites dans leur autonomie, réduite à quelques minutes, elle invite à une méditation poétique que le concert du Choeur de l’Opéra de Bordeaux accompagne à la tombée de la nuit. Répartis dans le jardin parmi les spectateurs, les pupitres, préparés avec soin par leur chef Salvatore Caputo, psalmodient des pages de Arvo Pärt. L’inspiration du compositeur estonien se teinte d’une discrète et tendre mélancolie – idiomatique d’une certaine religiosité que d’aucuns jugeraient un peu sulpicienne – qui accompagne idéalement cette parenthèse extatique, en retrait de la fureur de notre civilisation industrielle. Cette circulation entre harmonies musicales et animation des sculptures par Theo Jansen lui-même, qu’il tire comme un animal domestique, dans un indéniable témoignage à la fois ludique et affectueux pour ses créations auquel ne peut résister le public, illustre de manière exemplaire la pluridisciplinarité du FAB, en l’une des dizaines de manifestations, souvent gratuites, qui font essaimer l’art dans le tissu urbain.
Liszt au sommet
Le lendemain, c’est dans l’écrin de l’Auditorium que, onze ans après son enregistrement et la présentation du cycle au Grand-Théâtre, dans le cadre du alors tout jeune festival L’esprit du piano, Bertrand Chamayou reprend les Années de pèlerinage de Liszt. La maturité – et la plongée récente des Vingt regards sur l’enfant Jésus de Messiaen – ont enrichi ce qui était déjà l’une des lectures majeures d’aujourd’hui d’un monument de la littérature pianistique, et sans doute musicale, avec lequel le soliste français démontre des affinités exceptionnelles. Les évocations de la Suisse, pour la Première année, puis de l’Italie pour les deux autres, déclinent une spiritualité fusionnant Nature et Esprit dans une symbiose romantique qui n’a cessé d’évoluer au fil d’un recueil jalonnant la carrière de Liszt. Le naturel du jeu, soutenu par une intelligence communicative de la forme, emmène l’auditeur dans un voyage méditerranéen qui culmine avec un magistral Après une lecture de Dante, que les pittoresques numéros de Venezia e Napoli prolongent dans des chatoiements qui ne se résument jamais à l’anecdote. Le kaléidoscope d’impressions à la Villa d’Este scintille avec une pureté du clavier toujours empreinte de sensibilité avant les ultimes épisodes aux confins du mystique. Une magistrale traversée lisztienne !
Par Gilles Charlassier
Soirée d’ouverture du FAB, le 1er octobre 2022, et Les années de pèlerinage, Auditorium de l’Opéra de Bordeaux, le 2 octobre 2022