10 décembre 2011
Sur la route de Memphis

Troisième Carnet de Route en Amérique pour François Busnel et retour aux sources, à l’origine; sans Les aventures de Tom Sawyer, écrit par Mark Twain , La grande Librairie qu’il anime tous les jeudis soir sur France 5 n’aurait en effet pas existé- vous le découvrirez dans le Il/Elle de la semaine prochaine. En attendant, après New York, Long Island et Boston, Adrien Soland, le réalisateur nous fait découvrir à travers des prises de vues magnifiques ce qui n’est pas « une région mais un esprit », avec cette ombre ô combien légendaire, omniprésente et encombrante pour tous les écrivains qui y vivent : Faulkner. Rajoutez à cela la violence de la nature- deux cyclones dévastateurs, Hugo sur les côtes et Katrina à la Nouvelle Orléans, ainsi que le lourd héritage lié à l’esclavagisme et la ségrégation et vous aurez une idée de la richesse et de la complexité qu’il y a à saisir ici sa plume pour décrire cette Amérique encore blessée de tout cela.

Faulkner et Elvis

Le voyage débute sur la côte, en Caroline du Sud, région la plus conservatrice des Etats Unis, bastion donc des républicains aux ghettos dorés comme la station balnéaire Hilton Head et aux villes manucurées à l’image de Charleston.  Pat Conroy, l’auteur du Prince des Marées reçoit dans sa belle maison de Beaufort et s’émerveille de ce que la lecture peut offrir, « lorsque Balzac vous emmène à Paris ou que grâce à Henry James, je deviens une femme dans l’Angleterre du XIX ème siècle. » Direction ensuite Memphis, grand carrefour du sud où Martin Luther King fut assassiné en 1968. Une ville échiquier avec pendant longtemps,  les blancs, au sud dans  les belles plantations et au nord, les noirs et la misère. C’est là qu’Elvis mélangea à sa façons les couleurs grâce à sa musique et qu’Ace Atkins, ancien journaliste spécialiste des affaires criminelles vit et écrit ses polars, genre littéraire le plus à même, selon lui, de traduire la réalité de nos vies, racontant avec nostalgie ces rues où le blues et la soul music sont nés.

Le voyage passe ensuite par Oxford, sur la tombe de Faulkner, ville où l’on trouve nombre d’écrivains en résidence et où, Tom Franklin, auteur de Braconniers salué par la critique américaine, résume sans appel « qu’être du sud, c’est devoir s’excuser », soulignant cependant combien la tradition de conte  a toujours été la grande force d’ici.  » On est d’abord une branche sur l’arbre de nos ancêtres ». Car, le sud, c’est avant tout la filiation, le poids de l’histoire de cette guerre de Sécession et l’héritage du  maître de la littérature américaine, William Faulkner, prix Nobel et Pulitzer dont François Busnel a eu le privilège de rencontrer la nièce élevée comme sa propre fille, Dean Faullkner Welles, morte quelques semaines après le tournage. Et c’est sans doute la plus émouvante séquence de ce 52 minutes que de les voir tous les deux, assis sur le perron de cette discrète  maison coloniale « Rowan Oak » du nom de la branche de sorbier que l’on attachait jadis au dessus des portes pour chasser les sorcières et empêcher le lait de tourner. « Il était là, à accepter le fardeau » dit-elle de celui qu’elle appelait « papy » et qui se réfugia dans la boisson  » pour supporter de vivre avec ce génie-là tous les jours ».

Un sud nommé désir

C’est dans le bayou, enfin, que la route de Busnel s’achève, avec John Biguenet, auteur du Secret du bayou qui a grandi dans cette partie de la Louisiane où chaque demi-heure, l’équivalent d’un terrain de football disparait désormais par la faute des canaux creusés par les compagnies pétrolières. « Rude, stoïque et prédatrice, voilà l’âme américaine » dit-il, décrivant aussi les séquelles toujours aussi vivaces laissées par Katrina, sept ans après, dans La Nouvelle Orléans, ville multiculturelle, quasi insulaire, qui connu la débauche et inspira Truman Capote ou Tennesse Williams et son mythique Tramway nommé désir.... C’est là que l’écrivain noir Edouard Harris conclue cette superbe pérégrination sur une note-forcément- politique, confirmant que, dans un pays où il y a 36 millions de pauvres-à majorité noirs- « écrire est un acte politique ». De quoi changer la façon de voir; « c’est tout ce que l’on peut faire » ajoute-t’il. C’est déjà beaucoup.

Par Laetitia Monsacré

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