14 décembre 2012
La voix de son Chat

 

Dès l’interphone, on est rassuré. La voix est bienveillante, amicale. Geluck reçoit chez lui, un pied-à-terre parisien très zen où rien ne traîne, et qu’il occupe désormais à l’envi, n’ayant plus d’obligations télévisuelles comme dans le passé, lorsqu’il intervenait dans Vivement Dimanche de Michel Drucker ou On a tout essayé de Laurent Ruquier. Une époque, où le Thalys était son moyen de locomotion obligé « j’avais demandé à ce que la ligne passe plus près de chez moi », mais à laquelle il a souhaité lui-même mettre un terme en 2007. De quoi se consacrer exclusivement à ses activités de dessinateur et à son personnage fétiche, le Chat, dont l’existence remonte à 1986. Un compagnon de crayon de tous les jours auquel il fait aussi bien commenter l’actualité  « Espérons que la France ne perde pas son A après le Portugl, l’Espgne et l’Itlie… »que se poser des questions existentielles comme celle de songer  « que nous avons six litres de boudin noir pas cuit qui circulent en nous pendant notre vie », autant de pensées regroupées dans son dix-septième album, Le Chat Erectus chez Casterman, après les textes jubilatoires de Geluck enfonce le clou ou Geluck se lâche« toutes des salopes sauf ma rédactrice en chef »-chez le même éditeur.

 Avez-vous vous-même un chat?

Je n’en ai plus; nous avons vécu à la campagne pendant trente ans et lorsque nous sommes revenus à Bruxelles, les animaux étaient vieux et…morts. J’aime bien cette phrase d’un humoriste américain qui dit que « la vraie vie commence lorsque les enfants sont partis et que le chien est mort… ». Je ne suis pas partisan de la litière, etc…Maintenant il ne faudrait pas trop me pousser; j’ai eu un chat qui adorait se mettre sous la lampe, balançant les pots de peintures, renversant l’encre de Chine lorsque je travaillais.

Comment ce personnage est-il arrivé dans votre imagination? 

Je ne pense pas que l’on choisisse.  J’avais fait pendant quinze ans des pièces uniques, avec de l’encre de Chine, pour être exposées et vendues en galeries; Et puis un jour, un journaliste du Soir m’a dit que ce serait bien si je créais un personnage récurrent pour un supplément régulier.  Trois ans avant j’avais dessiné deux chats sur un carton de mariage pour remercier des cadeaux que mes amis nous avaient faits.

Il se lève, pour me le montrer dans le catalogue de son exposition rétrospective aux Beaux Arts de Bruxelles.

C’était un peu lui mais pas encore  tout à fait celui qu’il est aujourd’hui. Il correspond aussi a une période où je me suis apaisé, à la naissance de mon premier enfant. Le Chat est né trois mois après mon fils; il est alors devenu plus rond, plus bonhomme.

La fameuse « bonhomie » belge dont vous semblez un ambassadeur de premier choix…

Je ne sais pas, mais c’est vrai qu’il m’arrive de me sentir comme un ovni sur un plateau de télévision. J’essaye simplement d’être un honnête homme, j’ai en plus la chance de vivre une histoire d’amour longue et merveilleuse, ce qui est assez particulier dans les médias. Du coup, je passais à chaque fois auprès de mes petits camarades pour le plouc qui arrivait de sa campagne!

Mais c’est vrai que pour les Belges c’est difficile de se sentir faire partie de la « famille » française et de se faire mépriser…mais nous sommes de plus en plus à nous imposer en France comme Amélie Nothomb, Cécile de France ou Benoît Poelvoorde…Je pense qu’avec notre double culture franco-flamande, nous sommes comme ces petites communautés qui face aux grands sont obligées de se faire une carapace, d’être dans l’autodérision car sans arrêt roulés dans la farine par tout le monde! Il me semble aussi que l’amour de l’image, de la BD aux peintres flamands, nous amène vers des aspirations artistiques.

Cela est arrivé comment dans votre cas?

Mes parents m’y ont obligé! Ça aurait été très mal vu que mon frère qui est devenu graphiste ou moi-même nous finissions médecin ou notaire! Ils se sont rencontrés en faisant du théâtre et après la guerre, mon père est devenu dessinateur de presse, très engagé à gauche, il était militant communiste. Ils m’ont appris l’humanisme, la générosité, le partage. Depuis tout petit, je dessine et j’ai publié mes premiers dessins vers 15 ans; les premiers sous que j’ai gagnés, c’était déjà avec mes dessins!  Du coup, je travaille beaucoup plus que je ne devrais avec cette idée de mériter ainsi ce que je reçois-c’est une vision très catho/communiste!

Quelle est votre façon de travailler?

A force d’accepter toutes les sollicitations, on est vite pris par les commandes…Les livres, la papeterie, les revues dans lesquelles je publie très régulièrement- VSD, Le Soir, Siné mensuel, l’illustration en Suisse…Je commence tous les matins à 9 heures en descendant l’escalier- j’habite une maison où les bureaux sont au rez-de-chaussée et là, je reste cinq jours par semaine jusqu’à 19 heures. Entre le site internet, les dessins animés sur France 2 « La minute nécessaire du Chat » que je suis en train de remonter vu que le format trop court -40 secondes- n’a pas permis de s’installer à l’antenne, les expositions, des grandes toiles ou des sculptures, j’ai de quoi m’occuper.  En plus, même si j’adore le papier, je ne veux pas louper le train d’internet, alors j’ai créé une application Iphone et Ipad avec un dessin inédit chaque jour, des sons, des textes, des coups de gueule et également une newsletter.

Il n’y a pas de phénomène de lassitude?

C’est exceptionnel, mais non! Trente ans déjà pourtant, mais ce qui me sauve c’est ma multidisciplinarité, je fais de la  radio, de la télévision; ainsi , j’ai pu  lui être infidèle… Je ne travaille pas en réaction, suivre l’actualité n’est pas trop pour moi. J’ai d’ailleurs quitté mes collaborations sans regret. On est venu me rechercher sans que je n’aie jamais rien sollicité et je suis reparti. Je ne voulais pas faire la saison de trop. Avec le Chat ça pourrait être pareil mais je sens qu’il y encore des choses à dire, j’ai encore de la « libido » artistique.

Rire vous paraît particulièrement salvateur en ces temps difficiles?

Ah oui,  même s’ il s’est énormément commercialisé. Il n’ y a pas beaucoup de Coluche et de Desproges aujourd’hui. D’ailleurs, on m’ a moi-même reproché d’aller chez Drucker même si c’était une formidable tribune dont il fallait juste utiliser et respecter les codes, dire des choses que l’on puisse lire entre les lignes. J’aime cette idée de Desproges d’ être un artiste « dégagé ». Mais, c’est vrai qu’aujourd’hui, ce sont les gens les plus lisses qui passent partout…

La théière est vide, une moto taxi qu’il a oubliée l’attend en bas pour aller à un enregistrement. Geluck prend tout de même le temps d’une dédicace-un dessin forcément le représentant avec un nez en forme d’oeuf à côté de son Chat qui a lui plutôt une truffe en forme d’orange – puis repart dans sa course parisienne avant de retrouver sa Belgique-« une bonne copine » dont il semble être une facétieuse déclinaison au masculin.

Par Laetitia Monsacré

 

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