30 mars 2016
La Juive en noir à Lyon

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C’est un rendez-vous consacré : chaque année au début du printemps, à l’heure de présenter sa nouvelle saison, l’Opéra de Lyon programme un mini-festival thématique. Sous le titre « Festival pour l’humanité », l’édition 2016 se place opportunément sous le signe des troubles de la seconde guerre mondiale, et plus particulièrement de la Shoah. Après une création confiée à Michel Tabachnik et Régis Debray, Benjamin, dernière nuit, autour de l’exil du philosophe juif allemand persécuté, et avant un doublé d’ouvrages directement associés aux camps de concentration – L’empereur d’Atlantis d’Ullman et Brundibar de Krasa –, l’institution lyonnaise puise dans le répertoire du grand opéra français romantique un ouvrage au titre emblématique, La Juive d’Halévy – à tel point que l’an passé, les représentations gantoises ont dû solliciter des mesures de sécurité accrues.

Emblème et symboles

Confiée à Olivier Py, la nouvelle production de la cité des Gaules affirme sans ambiguïté les invariants scénographiques de Pierre-André Weitz, où dominent le noir et les rotations d’éléments, le tout rehaussé par les lumières très plastiques de Bertrand Killy. Si l’aura spirituelle du livret ne pouvait échapper à l’acuité du metteur en scène français, catholique revendiqué, celui-ci en tire une lecture d’une belle puissance poétique, appuyée par une direction d’acteurs d’une grande force, sensible aux symboles, parfois explicitement reconstitués par le décor, à l’instar de l’étoile de David. Si la blancheur anthracite des troncs d’arbres en toile de fond suggère autant l’hiver qu’un paysage dévasté par la guerre, les panneaux de bibliothèque traduisent l’empreinte du livre fondateur – et de ses interprétations inscrites dans la Kabbale – sur la vie d’Eleazar, stigmatisé comme le peuple d’où il est issu, pour sa religion, parente mais aux usages différents. L’autorité des pouvoirs se lit dans la place dominante des marches d’escalier dans le progrès de l’intrigue. On pourra toujours deviner ça et là les heures vichystes dans les costumes, sans que la conception intemporelle ne se laisse emprisonner dans les circonstances programmatiques.

Un plateau de bonne tenue

En Eleazar, Nikolaï Schukoff dément les craintes qui avaient pu être formées, et s’investit admirablement dans un rôle exigeant, au-delà de l’air passé à la postérité, « Rachel, quand du Seigneur ». Endossant un rôle que l’on dirait presque homonyme, Rachel Harnisch frémit d’une intensité perceptible et contraste avec l’Eudoxie plus innocente – et haut perchée – de Sabine Puertolas, non sans une pointe d’acidité ici ou là. Enea Scala ne se contente pas d’un Leopold brillant de moyens, et souligne les contradictions du prince jusqu’à la lâcheté. On appréciera également les interventions de Charles Rice en Albert, ainsi que le sombre Ruggiero de Vincent Le Texier, tandis que le monolithique Brogni de Robert Scanduzzi manque la complexité du cardinal, alors vidé de son potentiel émotionnel. Préparés par Philip White, les choeurs remplissent leur office sans faiblir. Quant à la direction de Daniele Rustioni, elle témoigne, au-delà de recherches parfois artificielles, d’une vitalité dramatique au diapason de la partition.

Par Gilles Charlassier

La Juive, Opéra de Lyon, mars-avril 2016

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