1 janvier 2012
Gaston, 981 grammes…

Le papa de Jules et de Martin aime la vitesse et le voyage, qui « seuls, lui permettent de respirer : « Nous courons de plus en plus vite pour fixer la beauté et la grâce de la vie ». Il aime aussi partager ses émotions: « il faudrait ne jamais regarder seul les étoiles. La splendeur est une gifle de mélancolie quand elle n’est pas partagée »

Le papa de Jules et de Martin voit sa vie basculer lorsque le téléphone sonne, à 4h36, dans cette nuit de lundi à mardi du 29 mai. Il écrira plus tard: « je suis seul, le vide à côté de moi ».
Car le papa de Jules et de Martin est devenu, cette nuit-là, le papa de Gaston et d’Arthur, deux enfants nés trop tôt.

Gaston est en réanimation pédiatrique « un coffre-fort de couveuses », « terrassé par des perfusions, des sondes, des puces électriques, Gaston « ressemble à une petite bête blottie, sur le ventre, dans son terrier »
Gaston , 981 grammes, « est à la guerre »  (…) « les prématurés avancent par cycles. Ils grimpent une montagne et s’effondrent de fatigue dans une crevasse »
Dans le décor froid, carrelé de l’hôpital de Rouen, au moment de découvrir son enfant, le père essaie de « s’insensibiliser, de démontrer un détachement clinique » -l’enfant peut mourir à tout instant , mais  il est happé par l’amour : « le lien a été flamboyant ».
Alors son souffle comme la vie de son fils, reste en suspens : « chaque jour est un nouveau défi avec son paquet d’espoir et de désespérance ».

Arthur, son jumeau, n’a pas supporté le choc de la vie, et demeurera à jamais « l’enfant des limbes, cette lisière, cette frange ».
Son père écrira plus tard: « l’ombre est sur mon épaule dès que je jette un œil dans le rétroviseur intérieur- je le fais sans cesse comme s’il était possible de rembobiner la pellicule et de réécrire le scénario – il manquera toujours un enfant sur la banquette arrière ».

Ce drame , il le vit comme la conséquence de ses propres décisions : n’eut-il pas envie d’emmener Camille, sa femme jeune, enceinte, belle et épanouie, passer un  week-end à Saint-Malo ? Pluie, vent, soleil, mouvement, mer, vitesse sur les routes… Camille accouchera le 29 mai, alors qu’elle devait attendre ses jumeaux jusque mi-septembre: « Je me sens responsable de cet effroi ».

Gaston vivra, Camille partira, lui rendant son alliance, le 23 août. : «  Je pressens que le levier est son accouchement prématuré. Même brutalité, même coup de tonnerre »

A l’hôpital de Rouen, où l’on soigne Gaston, « la statue de Flaubert est à la fois proue et gardien ». « Gustave » est un référent pour ce père, Olivier Frébourg, qui imagine la vie de ce grand écrivain, dans un village normand, près des lieux que lui-même affectionne : « Si vous passez par Rouen, cet été, rappelez vous que Croisset est à un quart d’heure, et que vous y serez reçu avec ivresse » écrivait Flaubert à un de ses amis, nombreux à lui rendre visite, tels Tourgueniev, Maupassant, Sand, les Goncourt….

En effet, Flaubert partagera sa vie entre Paris, de janvier à mai, sa « saison mondaine » et Croisset. Flaubert, « l’ermite de Croisset, le passager de Paris, » mais aussi « le voyageur en Orient »: son voyage durera un an et demi, ensuite, «  il rêvera toujours de soleil, d’une vie de muletier et de nomade, mais sera rivé au sillon normand ».

De Flaubert , l’auteur fouille la vie avec tendresse : « ah, la famille, quel rôle dans la vie et l’œuvre de Flaubert, lui  qui n’a pas eu d’enfant ! » et pose ainsi la question de la trace laissée sur terre : « tout écrivain est hanté par sa postérité : serai- je lu par les futures générations ? serai-je encore vivant une fois mort ? ».

Question qui ne se pose pas pour l’œuvre de Flaubert, qui  s’impose à nous, comme celle d’autres grands auteurs qui sont « notre famille d’encre et de papier ». Ainsi le bovarysme incarne t-il « la condition universelle de notre existence » : « Nul n’échappe au bovarysme. Le bovarysme est le père de l’illusion sur soi  qui précède et accompagne l’illusion sur autrui et  sur le monde…. il est l’évocateur de paysages psychologiques par lesquels l’homme est induit en erreur et en tentation pour sa joie et son malheur ».

Flaubert est venu « solliciter » Olivier Frébourg, il s’impose à lui, même si cet attachement est parfois lourd et encombrant : « Flaubert est une montagne glissante, on essaie d’atteindre le sommet mais il demeure inaccessible… »

Pourquoi Gustave est-il revenu dans le quotidien d’Olivier Frébourg à la naissance de Gaston ? « Je n’ai pas eu le choix », constate-t-il, émouvant.

Le lecteur non plus, qui doit sans cesse quitter l’histoire vibrante de Gaston, pour se hisser avec l’auteur sur cette « montagne glissante » dans un mouvement d’allers et retours qui confère au livre un rythme troublé comme un temps de septembre en Normandie.

 

Par Marine Romane

Gaston et Gustave de Olivier Frébourg, publié au Mercure de France.

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