14 septembre 2018
Homo Faber, une nouvelle Renaissance à Venise

En philosophie, la notion d’homo faber fait référence à l’Homme en tant qu’« être susceptible de fabriquer des outils ». Propriétaire de Richemont, second groupe de luxe mondial après LVMH, l’homme d’affaire sud-américain, Johann Rupert a créé il y a deux ans la Fondation MichelAngelo et choisit Venise pour présenter sur l’intégralité de l’île de San Giorgio Maggiore « ce que les hommes peuvent faire mieux que les machines. » C’est donc dans les bâtiments magnifiques de la Fondation Cini que le visiteur peut découvrir à partir de ce vendredi le miracle du « fait main » qu’il soit synonyme de luxe ou de passion. Car, c’est là la réussite de cette époustouflante démonstration de savoir-faire: avoir su faire cohabiter les marques emblématiques du groupe- MontBlanc, Cartier, Van Cleef et Arpels, Dunhill, Jaeger Le Coultre entre autres, avec des artisans capables de fabriquer des cordages en chanvre au fin fond de la Norvège ou des bâts de mulets en Grèce. Avec pas moins de seize expositions différentes allant de la restauration d’oeuvres d’art en passant par la Haute Couture, la rénovation d’un ketch du légendaire William Fife Jr, la décoration intérieure avec India Mahdavi, la customisation de voitures ainsi qu’une multitude d’objets d’art,  le syndrome de Stendhal guette chacun devant ce trop plein d’émotions esthétiques. C’est là peut-être la limite d’une telle débauche de moyens, mal d’un siècle où le trop plein l’emporte, annonciateur pour d’aucuns d’un effondrement. Ou d’une renaissance…

De la tradition à la modernité

Comment, en effet, ne pas tomber sous le charme de ces artisans passionnés à l’image d’Héloïse Gilles et de Raphaëlle de Panafieu qui, toutes deux sorties de grandes écoles de commerce ont racheté Duvelleroy, maison fabriquant des éventails depuis 1827; aux plumes, broderies nécessitant jusqu’à 200 heures de travail pour des prix pouvant aller jusqu’à 2500 euros, elles ont ajouté des matériaux plus contemporains et plus abordables comme un modèle en lamelles de cuir à moins de cent euros. De quoi s’éventer avec élégance et modernité et pourquoi pas, se passer d’un ventilateur made in China… Et, là encore, chercher ce que la main de l’homme peut faire mieux qu’une machine. A écouter les Bonnet, lunettiers de père en fils, aux clients prestigieux comme Yves Saint Laurent, Le Corbusier ou Aristote Onassis, on est tenté de croire que le développement durable peut en effet bien commencer en gardant une paire de lunettes toute sa vie car fabriquée dans des matériaux nobles comme la corne ou l’écaille, réparable à l’envi. Tout comme ces porte-documents Dunhill réalisés en cuir pleine fleur par l’un des quatre artisans de l’atelier londonien. Et même si le cuir nécessite désormais de plus en plus de traitements- les peaux étant devenues plus poreuses sous l’effet de l’alimentation chimiquement polluée des vaches- il y a, à écouter ces hommes et ces femmes, de quoi faire naître un réel espoir dans la revalorisation de ces objets inanimés au supplément d’âme.

Diversité des matériaux

La Fondation Bettancourt-Schueller qui valorise l’intelligence de la main depuis 1999 expose ainsi dans un très bel espace scénographié par Ramy Fischler les réalisations de ses lauréats, du sculpteur Bernard Dejonghe et ses triangles en verre optique massif  à l’ébéniste Ludovic Avenel revisitant l’Art Déco avec deux commodes, l’une réalisée en matériaux précieux, l’autre, identique mais utilisant le carton ou le caoutchouc pour démontrer que le beau n’est pas l’apanage du luxe. La richesse et la diversité des matériaux utilisés par les artisans d’aujourd’hui se retrouve en effet dans toutes les salles que ce soit en Haute Couture, raffia pour Dolce Gabbana, coquillages chez Azzedine Alaïa présentées dans l’étonnante piscine de la Fondation ou les déclinaisons autour du vase à travers l’histoire comme le Vaso Libellula de Venini mis en scène dans la bibliothèque Longhena. Le bois et « sa poésie »est lui mis à l’honneur dans une salle du cloître avec la marque Bottega Ghianda et de gigantesques abats jours servant d’écrins aux meubles d’art présentés tandis qu’ une musique grégorienne s’échappe d’enceintes imaginées par Opere Sonore selon le savoir faire des luthiers. Une mise en valeur dont n’ont malheureusement pu bénéficier les artistes exposés dans l’espace Best of Europe où la profusion de la sélection noyaient les oeuvres entre elles, malgré des objets d’art remarquables comme les sphères en céramique de Matthew Chambers ou les suspensions méduses en papier de la jeune artiste française Géraldine Gonzales. En ce jour d’inauguration, elle était d’ailleurs, à l’instar de la plupart des 400 artisans et designers venus de 27 pays, présente dans les jardins de la Fondation pour se mêler aux invités et à la centaine de journalistes conviés à cet événement qui restera sans aucun doute dans les mémoires, ne serait-ce au niveau de la logistique pour apporter par bateau autant d’objets on ne peut plus fragiles. Et cela, pour la beauté du geste, l’accès d’Homo Faber étant totalement gratuit. Venise, jadis enrichie par le commerce au long cours, se renouvellerait-elle au XXI ème siècle dans la philanthropie?

Par Laetitia Monsacré

Homo Faber, du 14 au 30 septembre 2018, infos sur le site

Éventails de la maison Duvelleroy dans l’espace Découverte et…Redécouverte

Démonstration de tapisserie chez Aubusson

Le boudoir imaginaire d’India Mahdavi

Les restaurateurs à l’ouvrage avec un gigantesque pied de Gaetano Pesce

La scénographie inspirée de Ramy Fischler en murs de terre crue pour la Fondation Bettancourt Schueller

La lagune en toile de fond aux chapeaux de Stephen Jones

 

 

 

 

 

Articles similaires