24 septembre 2016
Eric-Emmanuel Schmitt, le doux humaniste

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L’homme peut agacer. Pensez-donc, le succès à tout juste 30 ans dès sa première pièce de théâtre, La Nuit de Valogne, la consécration avec la seconde, Le Visiteur dans laquelle il imaginait avec virtuosité la rencontre entre Freud et Dieu et, depuis, des livres qui caracolent en tête des ventes-son dernier, L’homme qui voyait à travers les visages, chez Albin Michel, est en deuxième position, juste derrière Amélie Nothomb. Il y parle à nouveau de Dieu, des textes de la Bible et du Coran en partant de l’actualité liée à ces fous de Dieu qui, parce que celui-ci « serait grand » commettent aveuglement des attentats. Au cinéma, il n’a pas été de reste avec l’adaptation de son livre Odette Toulemonde avec Catherine Frot, puis de deux de ses pièces jouées à guichets fermés, Oscar et la dame rose ainsi que Monsieur Ibrahim et les fleurs de Coran offrant à Omar Shariff un de ses plus beau rôle. Et comme si cela ne suffisait pas, on l’a entendu commenter l’athlétisme tout le mois d’août en direct de Rio alors que le Théâtre Rive Gauche qu’il a acheté il y a trois ans par colère-son adaptation du Journal d’Anne Franck malgré Francis Huster en tête d’affiche ne trouvait pas de théâtre preneur- prépare sa rentrée avec trois pièces dont la reprise de Barbara et l’homme en habit rouge ainsi que Le Chien, superbe réflexion sur l’humanité de nos compagnons à quatre pattes, une pièce donnée cet été dans le off du Festival d’ Avignon.C’est à la terrasse d’un café pimpant en face de son théâtre, que nous l’avons rencontré pendant son court passage à Paris,  avant de rentrer chez lui à Bruxelles et d’y retrouver ses trois chiens.

Quelle relation entretenez-vous avec Dieu? On peut dire que vous ne le ménagez pas dans votre dernier livre en faisant dire à l’un de vos personnages « c’est Dieu qui tue »…

Oui et non. C’est plutôt l’homme qui en prend plein son matricule car s’il y a une rencontre entre Augustin, mon personnage et le Grand oeil, Dieu lui explique que les hommes ne savent pas lire ses livres. En fait, lorsque les hommes veulent croire, ils veulent cesser de réfléchir. Et Dieu dit non, croire, ce n’est pas cesser de réfléchir. Pour moi, la religiosité ne peut pas se passer d’une dimension critique. Mon livre, s’il approche le divin, est avant tout profondément humaniste. Camus disait « l’homme a la charge de l’homme » et moi je rajoute que l’homme a la charge de Dieu. C’est à l’homme de parler d’un Dieu qui pacifie plutôt qu’un Dieu qui oppose. C’est à l’homme d’avoir l’intelligence de lire les textes sacrés qui parlent de tout et de son contraire, donc c’est à l’homme d’avoir un concept « haut » de Dieu et de rendre les textes inspirants.

La serveuse vient alors lui demander de remettre sa chaise à sa place, l’occasion d’échanger sur notre société de plus en plus policée, avec cette idée de « tout résoudre par la loi, avec en embuscade, la logique archaïque de trouver un coupable »…

Que pensez-vous de la phrase de Malraux qui disait que le XXI ème siècle serait spirituel ou ne serait pas?

Je suis profondément d’accord avec cela. C’est d’ailleurs exactement le contraire de ce que nos sociétés sont en train de faire. On y a créé un espace dit laïc pour des raisons qui étaient essentielles il y a cent ans afin que deux pouvoirs séculaires, l’Eglise et la République cessent de s’affronter. Mais on a dans les faits créé un espace qui est censé respecter toutes les spiritualités en les renvoyant dans le champ de l’intime. Ainsi, il est devenu creux, sans aucune valeur, avec le consumérisme en apôtre. Je milite pour que l’on ait des cours d’instruction religieuse et d’athéisme et que la discussion spirituelle soit au centre de la vie sociale. Nous vivons ainsi une crise spirituelle et le retour des guerres de religions. C’est d’ailleurs frappant: avec l’avènement de l’imprimerie, les guerres de religion se sont déclarées; avec celui d’internet, on assiste à la même chose. La technique n’est ni bonne ni mauvaise mais transporte tout, la connaissance comme la connerie. Lorsque l’on va sur le site des djihadistes, le Coran est réduit à quelques versets de la sourate de la vache; pour que cela marche il faut avoir à faire à des ignorants.

Votre livre s’ouvre sur un attentat, vous teniez en tant qu’écrivain à réagir à cette nouvelle forme de terreur?

Tout ce que j’écris est toujours engagé; engagé pour des valeurs, non pas en politicien mais au sens moral. Je pense que le 13 novembre, j’étais comme tout le monde, sidéré et privé de parole, de sens, de réflexion. Le choc a été surtout avec cette série d’attentats car avec Charlie hebdo, c’était encore très ciblé, on pensait se poser la question ignoble comme beaucoup de gens, de savoir s’ils ne l’avaient pas cherché…Mais en novembre, il suffisait d’être là pour être coupable. J’étais alors à Bordeaux où je jouais Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran et nous avons obtenu le droit par décision préfectorale de pouvoir jouer le lendemain malgré que tous les théâtres de France soient fermés.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous mettre en scène et devenir un personnage de votre livre?

Augustin s’intéresse aux religions et veut interroger un homme qui n’ait pas une vision négative de celles-ci. Je n’allait pas inventer un intellectuel qui s’appelle Duchmolle donc tant qu’à faire, j’y suis allé franco en mettant dans ma bouche les choses que je peux penser. J’avais très peur car je savais que j’allais arriver dans le livre mais cela a été en fait très facile car c’est Augustin qui me décrit. Plutôt bienveillant d’ailleurs; je savais qu’il y avait deux impasses dans l’exercice: dire beaucoup de bien de soi ou beaucoup de mal. Le but de mon livre n’est pas de parler de moi, mais je l’ai trouvé sympa Schmitt!

Combien de temps avez-vous mis à l’écrire? On sent une fluidité dans vos livres comme si cela coulait…

C’est cinq mois d’écriture à raison de journée de neuf heures du matin à neuf heures du soir. Je travaille énormément pour que cela soit fluide, il faut enlever tout ce qui est en trop; j’écris et je corrige plusieurs heures par jour en utilisant les deux hémisphères différents de mon cerveau. Quand celui de la création est épuisé, je reprend ce que j’ai écrit les jours précédents, assis à ma table dans la ferme que je décris dans le livre. J’adore écrire dans ma chambre qui est immense, en robe de chambre, en n’appartenant plus au monde réel. D’ailleurs, dès que j’entends mes personnages, que je commence à les voir, à les sentir, je tombe malgré moi dans le sommeil quelques minutes et au réveil, vaseux, pâteux, j’écris. C’est comme un sas, un couloir qui mène à l’imaginaire où les choses sont déjà là. Cela dure les deux premières semaines d’écriture; après le livre est tellement là que je n’ai plus besoin de dormir.

Vous montez à partir du 1er octobre, Le chien, une de vos nouvelles adaptée cet été à Avignon, comment cela s’est-il décidé?

C’est un peu une folie car il y a deux acteurs peu connus, mais j’ai bouleversé par leur adaptation, sa probité, lorsque je l’ai vu cet été tandis que je jouais moi-même Monsieur Ibrahim pour lequel nous avons refusé du monde chaque jour malgré un festival en demi-teinte. Là encore, on ne prête qu’aux riches…

Comment avez-vous imaginé cette histoire?

J’avais lu il y a très longtemps un extrait du Journal d’Emmanuel Levinas où il racontait que lorsqu’il avait été prisonnier pendant la guerre 39-45, il avait vu un chien derrière les grillages qui voulait jouer avec lui,  lui rendant ainsi l’ humanité que ses gardiens lui avaient retirée. Pendant trente ans, cette histoire m’a hantée, moi qui ai toujours vécu avec des chiens et des chats et qui voit à travers les années ce que je leur dois. C’est une leçon de philosophie, de joie de vivre, d’amour inconditionnel, de pardon. C’était une façon de montrer que seuls les hommes sont barbares et d’une certaine façon, seuls les chiens sont humains.

Et votre expérience comme commentateur sur les JO? Vous vous êtes régalé?

Oui et non. Les Brésiliens ne voulaient pas de jeux, alors les stades sont restées vides bien souvent à part pour le foot; en plus ils n’hésitaient pas à siffler. C’était de surcroit crevant, avec quatre heures de sommeil par nuit pendant trois semaines. J’ai joué la solidarité avec les équipes de France Tv en partant avec eux le matin à 6 h30 car l’hôtel était loin du stade, sans être traité en VIP mais le dernier jour, je suis allé vivre chez le Consul dans une maison face à la plage. Pendant ce temps-là, je lisais aussi la sélection du Goncourt dont je suis jury.

Les mots des autres vont donc occuper les journées d’Eric-Emmanuel Schmitt, déjà enthousiaste sur certains nommés comme Petit Pays de Gaël Faye. Mais chut, les jeux sont ouverts jusqu’à novembre et l’annonce chez Drouant…

Par Laetitia Monsacré

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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