5 mars 2016
Akerman, petits riens sur ma mère

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Un long plan fixe sur une plaine aride décoiffée par un vent violent, puis le calme d’un parc verdoyant où s’immobilise un dos nu du troisième âge ; la webcaméra de Chantal Akerman à New York, après de longues retrouvailles au foyer maternel à Bruxelles : No home movie est le fruit de dizaines d’heures de tournage auprès de sa mère, ou à distance grâce aux artefacts de la télécommunication, que la cinéaste française, récemment disparue, a condensé pour en faire ce film sur sa mère, en fin de vie.

Utilisant les codes du reportage documentaire qu’elle fige jusqu’à une forme esthétique originale, à l’exemple des jeux de grossissements déformants par la caméra de l’ordinateur lors d’un échange Skype, ce long-métrage de près de deux heures n’obéit pas à la dynamique d’un scénario préétabli. Il laisse plutôt émerger, juxtaposés à des plages de relative langueur, des moments de grâce où émerge la mémoire en même temps que les sentiments filiaux, à l’exemple de ce déjeuner devant la table de formica où la réalisatrice fait accoucher à sa mère ses souvenirs, l’aïeule évoquant, par bribes, aiguillée par sa fille, sa fuite de Pologne, sa famille, et les années précédant la déportation. Passé et présent sont convoqués pour retenir la vieille dame devant le sommeil de l’oubli, et celui de la mort. C’est d’ailleurs par un plan silencieux sur le séjour vide que cette dernière est évoquée en conclusion d’un film qui ne trahit jamais le quotidien avec des musiques d’ambiance. Un art brut et tendre à la fois, touchant malgré quelques longueurs, qui ne sont peut-être que celles de la vie de tous les jours, pour ce témoignage quasi testamentaire.

Par Gilles Charlassier

 

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