13 mars 2015
D’une guerre à l’autre

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Ce qui est bien avec une bonne programmation de salle de cinéma, c’est que l’on peut y passer la journée, quittant une atmosphère de film pour une autre avec toujours la garantie de passer une heure et demie dans la meilleure compagnie qui soit. Lorsqu’en plus, ce cinéma est les 7 Parnassiens, on peut s’y asseoir en terrasse ou dans un espace où l’on est pas obligé de consommer, avec en plus si le coeur vous en dit, la possibilité de repartir ou feuilleter un des livres à disposition-joliment renommés « livres à pattes ». Donc, en ce mercredi de sortie, voilà un ovni d’un réalisateur estonien de 27 ans, en noir et blanc pour des tableaux filmés accompagnés d’une voix off pour Crosswind, la croisée des vents. Là, je sens vous vous mettez à hurler, genre le cinéma indépendant dans tout son ennui. Pourtant et avec une critique dithyrambique dans toute la presse, ce film est un petit bijou à l’image d‘Ida, méditatif malgré toute l’horreur qu’il décrit. Staline fut un Hitler en son temps, déportant à tout va comme ce couple d’Estoniens avec un enfant qui n’aura plus que le choix de se retrouver plus tard « à la croisée des vents » d’où le titre; la femme sera « le vent de l’Ouest » et lui, exécuté sans qu’elle le sache encore dans sa correspondance à sens unique, « le vent de l’Est ». Entre temps, le temps se figera pour elle et sa petite fille, à l’image de ce cette population de près de 580 000 « patriotes » envoyés en Sibérie, les femmes pour y couper du bois, sans pain pour leurs enfants et les hommes, une balle dans la tête. L’ellipse règne ici sans égale avec l’idée que l’on en a déjà tant vu sur la folie humaine et ce que les dictatures peuvent commettre, qu’il n’est nul besoin de montrer et rajouter l’horreur à l’horreur.

Snowden, comprendre enfin

Une salle plus loin, « patriote », Edward Snowden ne l’a pas été selon les dires de Barack Obama. En livrant au regard du monde les agissements de la NSA qui viole « par inadvertance » depuis le 11 septembre 2001 toutes les règles élémentaires de la vie privée de millions d’Américains et autres population-y compris Angela Merkel souvenez-vous, sous couvert du Patriot Act, ce jeune homme de 29 ans, dans un scénario digne de John le Carré, a pourtant souhaité redonner à internet toute sa force: permettre de communiquer librement. Ainsi, sur près de deux heures que vous ne verrez pas passer, Citizenfour offre une lecture enfin décodée et claire de l’affaire Snowden et l’occasion de découvrir un homme de chair et de sang-plus seulement un visage et ses motivations, grâce à Laura Poitras. La caméra de cette réalisatrice engagée propulse en effet le spectateur dans la chambre d’hôtel de Hong Kong en temps réel lorsque l’affaire éclata fin 2012; l’alarme incendie qui se déclenche, les visages qui se figent des journalistes présents dont Glenn Greenwald du Guardian qui décrocha ce scoop gigantesque, on est au coeur même du processus.

Contrairement à Wikileaks, Snowden voulut en effet un filtre à ses révélations. Un medium pour en parler, avec, en choisissant ce journaliste aguerri au monde de l’internet vivant à Rio, l’assurance que cela se ferait dans les meilleures conditions possibles. Et d’éviter la prison pour Snowden dans son pays où ceux qui posent des questions se retrouvent perquisitionnés, armes au poing comme cet informaticien qui s’étonnait que l’on récupère des données sans ordonnance juridique. « On a créé la plus grande arme d’oppression qui ait jamais existé »: au fil du film, on comprend ainsi les risques de la captation de ces métadonnées qui peuvent rendre coupable de son passé mais également de son futur en étant mis « on the list ». On y apprend aussi qu’un téléphone filaire peut permettre de vous écouter dans la pièce même par internet, qu’un drone peut vous surveiller toute la journée- d’où le choix d’une chambre d’ hôtel sans vis à vis et la « cape magique » pour se cacher tandis qu’on tape un mot de passe qui, dix chiffre est un minimum, vous assure une semaine avant que la NSA le puisse le briser…

Sans tomber dans la paranoïa, le film rappelle aussi comment internet permet de tout savoir de vous: qui vous voyez, où vous allez, les sites vus, les mails reçus, bref, la fin totale de votre vie privée, voire le contrôle sur celle-ci; Snowden a ainsi eu droit à ses virements de loyer suspendus dès que ses révélations ont filtré…Et comme « les medias privilégient toujours l’homme pas l’histoire », on découvre comment Snowden a souhaité rester le plus anonyme possible; c’est pourtant remarquable de l’entendre ici,  à la fois » libéré »-« Obama a menti » et inquiet de ne pas savoir ce qui va lui arriver. « Je n’ai pas peur, c’est comme l’hydre, s’il m’écrase, il y en aura sept derrière moi ». Rappelons qu’à ce jour,  seule la Russie lui a accordé par la suite le droit d’asile…

 

LM

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