13 février 2015
Lissner, chapitre un à l’Opéra de Paris

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A presque (trois cent) cinquante ans, l’Opéra de Paris peut-il se targuer, avec l’arrivée de Stéphane Lissner, qui a fait de Rolex la montre officielle de la première institution lyrique de France, d’avoir « réussi sa vie »?
Sur le papier, la programmation, annoncée le 4 février avec une précocité qui a pris de court tous ses concurrents, s’avère pour le moins prometteuse. Pour reprendre les mots du nouveau maître des lieux, c’est sur la durée (soit six ans) que son mandat se devra d’être évalué, en évoquant les deux projets qui s’initient dès l’automne prochain autour de Schoenberg et Berlioz. L’on peut ainsi se réjouir du retour du second dans les murs d’une maison qui l’a souvent mésestimé au cours de son histoire, avec, en décembre, une Damnation de Faust où brillera Jonas Kaufmann dans le rôle-titre, avant des Troyens, point culminant du cycle prévu pour 2019. Schoenberg ravira pour sa part les amateurs de modernité dodécaphonique avec Moïse et Aaron à partir du 20 octobre, réglé par Roméo Castellucci – en lieu et place de Patrice Chéreau initialement prévu.

Les metteurs en scène aux premières loges

C’est d’ailleurs le retour des grands noms de la mise en scène d’aujourd’hui qui constitue l’essentiel de la rupture amorcée par Stéphane Lissner qui n’en est pas avare comme le montre ce grand ménage dans les effectifs, jusqu’au prestataire chargé de l’identité visuelle, faisant place à Nicolas Jöel, au mandat sensiblement plus patrimonial. Ainsi le polonais Krzysztof Warlikowski  dans Le Château de Barbe-Bleue de Bartok en novembre, Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg de Wagner qui amènent enfin Stefan Herheim à Paris, en mars 2016 – on se souvient de son anthologique Parsifal à Bayreuth, enregistré également sous la baguette de Philippe Jordan –, Iolanta par Dmitri Tcherniakov en mars aussi, mais à Garnier cette fois, couplé à Casse-Noisette, dans une soirée recréant le programme de la création en 1892, ou encore Lear de Reimann par Calixto Bieito pour le répertoire moderne en mai, œuvre créée par le mythique Dietrich Fischer-Dieskau, sans oublier une première française à l’Amphithéâtre, Vol Retour de Joanna Lee par Katie Mitchell.
Les grands classiques ne manqueront pas à l’appel avec entre autres la « trilogie populaire » de Verdi, où Le Trouvère de La Fura dels Baus en février-mars et le Rigoletto de Claus Guth en avril mai complèteront La Traviata de Benoît Jacquot, reprise en mai-juin, avec Sonya Yoncheva, la diva montante du moment. On d’ailleurs puisé dans le vivier de valeurs bankanble, prometteuses ou déjà largement établies,  pour assurer les reprises, au nombre desquelles ont retiendra la toujours irrésistible et inusable de Platée de Rameau par Laurent Pelly et dirigée par Marc Minkowski – en septembre.

Un ballet entre sources américaines et initiatives inédites

Benjamin Millepied ouvrira, avec le concours de l’AROP, la saison à Garnier le 24 septembre, où n’étant jamais mieux servi que par soi-même, il donnera une de ses création avec  Thèmes et variations de Balanchine, après un Défilé du ballet, qui, nouveauté, troquera la Marche troyenne de Berlioz pour l’Entrée à la Wartburg tirée de Tannhäuser de Wagner. A la rentrée toujours, les espaces publics de Garnier seront occupés en début de soirée, par une installation conçue par Boris Charmartz, 20 danseurs pour le XXe siècle, avant le programme de l’ouverture repris avec Opus 19 de Robbins, jusqu’en mi-octobre. Reconnaissance appuyée à sa formation outre-Atlantique, Benjamin Millepied mettra l’école américaine à l’honneur – Balanchine et Robbins – dans trois autres spectacles, tandis que dans deux autres, Teresa de Keersmaeker profitera d’une tribune conséquente, dont  l’une au Centre Pompidou, amorce de partenariat avec d’autres salles de la capitale.

Dans une volonté affichée de ne pas séparer les genres, dont témoigne le doublé Tchaïkovski Iolanta-Casse Noisette, un hommage à Pierre Boulez pour les quatre-vingt-dix ans d’un des compositeurs et musicien les plus influents du siècle écoulé – on lui doit, parmi d’autres comme l’Ircam, le projet de la Philharmonie – sera rendu en décembre où le ballet dansera Wayne McGregor sur Anthèmes II pour violon et électronique, avant le Sacre du Printemps de Pina Bausch.

Les riches et les moins riches…

Les grands classiques ne se feront pas oublier, à l’instar de La Bayadère de Noureev pour les fêtes de fin d’année, avec une matinée Rêve d’enfants, rendez-vous incontournable des mécènes de l’Opéra de Paris– les bénéfices du gala permettent d’inviter un millier d’enfants issus de zones défavorisées. Stéphane Lissner affiche d’ailleurs une volonté de chouchouter le mécénat, réservant deux galas de première à l’AROP – La Damnation de Faust et Iolanta – avec évidemment frais de participation à trois chiffres sinon plus pour un bénéfice lié au mécénat qui frôle les 10 millions d’euros- soit 5 % du budget de l’Opéra de Paris.
Avec un contribuable qui supporte largement le budget de l’Opéra de Paris, la nouvelle direction « offrira » aux plus jeunes une compensation: onze productions parmi les plus en vues bénéficieront d’avant-premières à 10 euros pour les moins de 28 ans, principe expérimenté avec succès à Milan; les autres publics, devront débourser pour leur part jusqu’à 250 euros et subir une réduction du quota des places bon marché – nombre de places de parterre jadis en 4ème ou 5ème catégorie à Bastille ont été relevé en 2nde ou 3ème, quand l’emprise de l’optima-catégorie la plus chère- n’a cessé de gagner en nombre de places.
A l’heure où la crise frappe maintes institutions lyriques, Stéphane Lissner a déjà prouvé qu’il savait compter; pour ce qui est du reste, rendez-vous en septembre.

Par Gilles Charlassier

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