24 mars 2014
Martine Saada, la télé avec un grand T

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Est-ce ses dents du bonheur qui ont mené Martine Saada à la direction des documentaires de l’unité société et culture d’ Arte France? Voilà en tout cas, pour cette brune souriante celui, réitéré chaque jour depuis trois ans,  de pouvoir offrir aux téléspectateurs  un regard sur la planète le plus souvent passionnant même si passablement angoissant. Des hommes et des femmes, victimes ou prenant en charge leur avenir à travers des documentaires qui, entre les rediffusions la nuit ou grâce à Arte+7 éveillent les consciences à défaut de pouvoir les changer. Le résultat d’une sélection minutieuse- 120 productions sur 1400 projets reçus chaque année-effectuée grâce à « des méthodes que j’ai reprises de l’édition », la « terre originelle » de cette ancienne étudiante en lettres qui fit ses premiers pas à la télévision avec Bernard Rapp dans l’émission littéraire Caractères. Autant de documentaires en « devenir » qu’elle « feuillette » systématiquement avant de les réattribuer à des chargés de programmes réunis ensuite dans un comité, lequel décide alors de présenter les projets retenus au directeur éditorial, Vincent Meslet. « On voit alors à ce stade comment le projet est devenu « vôtre », comment on le défend ». Ensuite, direction Strasbourg où le flux venant de France et d’Allemagne s’unissent. La parité est alors totale pour donner corps à des programmes sans concession, « à la liberté éditoriale totale », illustration s’il en est de ce qu’est le service public d’une chaîne ne vivant que des subventions et donc loin des compromissions liées à satisfaire la fameuse ménagère de moins de 50 ans.

Comment êtes-vous arrivée à Arte, alors que vous étiez dans l’édition?

J’ai toujours eu deux jambes en travaillant à la fois dans la production et l’édition; après avoir démissionné de MK2, j’ai été contactée par les éditions du Seuil pour prendre en charge la direction éditoriale de la littérature française, étrangère et documents, ce qui représente 180 titres par an. Le travail d’accompagnement, éditer des livres ou des films est pour moi le même; lorsque Véronique Cayla qui m’avait engagé chez MK2 m’a proposée de la rejoindre chez Arte France, elle m’a d’ailleurs laissé la possibilité de continuer à avoir ma collection chez Grasset qui, avec quatre titres par an, me permet de ne pas perdre la main tout en restant totalement disponible pour la télévision.

Un documentaire Arte, c’est quoi?

En numéro un, la rigueur intellectuelle sur le propos. En deux, il faut une écriture visuelle qui serve au plus près le contenu, lequel reste primordial. Il y a également la capacité du film à exister « seul », indépendamment d’une antenne et d’une temporalité. Bien sûr les commémorations permettent de mettre en lumière quelqu’un ou un événement que l’on n’aurait en d’autres temps pas pu traiter-on va mettre en route un Foucault, un Derrida et un Roland Barthes grâce à cela- mais ces films doivent rester emblématiques par leur écriture et accéder à une certaine forme d’intemporalité. Je ne peux pas être dans la réactivité ni dans l’émotion mais dans le temps+1. Enfin, il y a une attention particulière à une politique d’auteur. Lorsque l’on a produit un premier film, il faut être là pour accompagner les suivants.

Quels sont les programmes difffusés dans les derniers mois qui vous ont particulièrement marquée?

Rithy Panh, L’image manquante, le film de David Téboul, Bardot, la méprise, un vrai film d’auteur ou encore le Cartier-Bresson de Pierre Assouline, à la fois grâce à la forme visuelle trouvée qui est de ne pas être dans le jugement mais juste dans le commentaire d’un siècle qui défile. Les deux films sur la guerre de Kippour ont été aussi une vraie trouvaille en mettant en perspective les opinions de chaque camp. Et puis, tout ce que nous avons fait sur la Syrie, les films de Manon Loiseau, tout ces documentaires qui traduisent notre façon de regarder le monde comme ce prochain film que nous allons diffuser sur le Rwanda.

Et vous arrivez à voir ce que vous allez diffuser, prévoir ce que vous allez produire et prendre des idées ailleurs?

Je ne dors pas beaucoup, j’ai cette chance de me lever très tôt depuis que je suis toute petite. Mais, oui, bien sûr, c’est du temps. C’est pour cela que ce sont des métiers qu’il ne faut pas faire trop longtemps car il faut donner beaucoup et laisser ensuite d’autres venir avec d’autres idées, apporter autre chose.

Vous avez l’impression de voir émerger de nouvelles écritures avec les nouvelles technologies?

Oui, mais ce n’est absolument pas une généralité. Je n’ai pas à mon niveau le sentiment d’un grand bouleversement, à l’exception des documentaires comme dans la case de la Lucarne, diffusée en troisième soirée, avec des films très originaux que l’on retrouve souvent dans les festivals à l’étranger.

Une des critiques que l’on pourrait faire à Arte est d’échapper à toute clause d’audience et ainsi être assez peu en prise avec le public…

Sur cela, je suis assez claire et très volontariste. Il y a beaucoup de chaînes aujourd’hui, beaucoup de possibilités de voir ce que l’on a envie de voir à un moment précis de sa vie. De l’érosion dans l’audience, il y en aura donc de plus en plus. L’envie de se divertir avec cette absence de mise en danger pour le téléspectateur existera de plus en plus, bien portée par certains, moins bien par d’autres; Arte, en tant que chaîne à la fois culturelle et européenne  ne s’est jamais définie comme cela et constitue forcement une niche dans laquelle il faut faire de la télévision. Pas répondre nécessairement à une attente mais surprendre, dénoncer avec un désir de s’inscrire dans la durée. Le Rwanda ne fera pas une grande audience, mais il faut être là.

Arte serait-elle une chaîne résistante? A voir l’énergie bienveillante qui se dégage de Martine Saada, il semble qu’elle ait trouvé, au sein de cette chaîne née de la volonté de deux pays qui ne cessèrent de se faire la guerre, la possibilité de démontrer que culturellement, tout est possible; de quoi donner beaucoup d’espoir…

Par Laetitia Monsacré

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