17 octobre 2013
Les bonnes soeurs sont à l’honneur

Poulenc version Nouvelle Vague, c’est ce que le réalisateur Christophe Honoré a offert au public de Lyon pour sa première mise en scène d’opéra, ce Dialogues des carmélites auquel vous aurez du mal à échapper en cette rentrée. Pas moins de trois versions dont une au Théâtre des Champs Elysées en décembre prochain vont en effet être données sur les scènes françaises, commémoration de la mort du compositeur oblige.
Lever de rideau, l’action est resituée de nos jours, dans une grande salle unique dont la baie vitrée donne sur les toits de Paris, avec des femmes dans un registre plus Deschiens que  bonnes sœurs. Novice, Christophe Honoré l’est aussi dans le maniement des chœurs et des groupes. A quoi bon ce peuple témoin de l’entretien du Chevalier de la Force avec son père que l’on surprend au lit avec une jeune fille en petite tenue. Et pourquoi ne pas laisser retentir la naïve profondeur des réflexions que Constance fait sur la mort de Madame de Croissy, « trop petite pour elle », en déplaçant sièges et tables pour changer le décor ? Quant à la scène finale, que dire du contresens qui fait échapper une partie des carmélites au couperet qui devient ici un saut dans le vide bras en croix.

Lumineuse Sabine Devieilhe

Pourtant, une fois digérées les réserves quant à cette sécularisation des protagonistes, on éprouve pour elles une réelle empathie, preuve que le pari d’effacer deux siècles de distance historique fonctionne malgré tout, d’autant que les personnages sont caractérisés avec soin. La confrontation entre Blanche et son frère au deuxième acte est l’une des plus réussies de la soirée, soutenue par la baguette très fluide de Kazushi Ono : tempi, couleurs, textures évoluent au plus près des inflexions du texte qu’ils font vivre avec une justesse poignante. Si au premier acte les cuivres blessent plus d’une fois  le tissu de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon – faiblesse des pupitres déjà relevée au demeurant dans d’autres productions – la souplesse et la transparence sonore prennent ensuite heureusement le dessus. Cor anglais charnu et galbé, élégante clarinette, violoncelles d’une belle sensibilité, les qualités des musiciens de l’Opéra de Lyon ne manquent pas, au service ce qui constitue un authentique moment de musique française. D’autant que le plateau vocal, incontestablement dominé par les incarnations féminines, se révèle quasi irréprochable du point de vue de la diction. Sylvie Brunet traduit les angoisses de Madame de Croissy en gouffres existentiels face à la mort,  Anaïk Morel incarne une Mère Marie pleine de dignité, sans effet de manche ; Madame Lidoine prend des accents fébriles sous le tablier de Sophie Marin-Degor. Impeccable Blanche, Hélène Guilmette minaude parfois, victime peut-être de la direction d’acteurs, tandis que Sabine Devieilhe irradie de fraîcheur et de spontanéité en Constance – elle imprime sa marque au rôle comme a su le faire Patricia Petibon quinze ans plus tôt. Inoubliable. Ce qui n’est pas le cas des solistes masculins. Sébastien Guèze n’a pour lui que l’impétuosité du Chevalier de la Force. Excellent comédien, Loïc Félix, l’aumônier du carmel, ne semble toujours à l’aise d’un point de vue vocal, et Laurent Alvaro défigure littéralement le Marquis.

Les Dialogues dans le texte

Le salut de ces messieurs viendra le lendemain à Nantes, avec une autre version regroupant des valeurs sûres du chant français d’aujourd’hui, jusque dans les emplois secondaires – Marc Scoffoni, docteur Javelinot et officier ; Mathias Vidal, aumônier débordant de vitalité ; Frédéric Caton, Marquis de la Force noble et paternel. Etoile montante, Stanislas de Barbeyrac a pour le Chevalier les atours de ténor mozartien que Poulenc réclamait. Seule exception à une distribution exclusivement française – pour le plus grand bonheur de l’intelligibilité – exemplaire – d’un texte magnifique, Hedwig Fassbender endosse la langue de Molière avec autant de naturel que la défroque de Mère Marie. Doris Lamprecht livre en Madame de Croissy une admirable incarnation théâtrale. L’ample vêtement vocal de la nouvelle prieure, Madame Lidoine, sied parfaitement à Catherine Hunold, empreinte d’une tendre fermeté envers « ses filles ». Anne-Catherine dévoile une Blanche dans la verdeur de l’âge, que la Constance de Sophie Junker colore de la naïveté attendue.

Epure théâtrale

Bien que nouvelle venue à la régie lyrique – même si elle avait mis en espace La Voix Humaine (de Poulenc déjà !) qu’elle chantait à Bordeaux –, Mireille Delunsch n’en est pas pour autant une novice. Elle le montre dans un spectacle sobre et épuré, dans la lignée de ce qui se fait depuis plusieurs décennies à l’opéra, et dont le travail de Robert Carsen constitue l’exemple le plus connu. Dans le respect de la musique, elle privilégie la continuité dramatique – les scènes se succèdent avec efficacité, sans avoir recours aux tombers de rideaux, au contraire de Christophe Honoré. Nul besoin de réinterprétation d’un livret qu’elle sait mettre en valeur, même si certains détails triviaux tels le ragoût de Blanche ne s’avèrent pas indispensable au sein d’une lecture qui emprunte à la symbolique théâtrale plus qu’au réalisme cinématographique. Avec la guillotine en coulisses et les cierges à l’avant du plateau qui s’éteignent  au fur et à mesure que les sœurs passent sur l’échafaud, la dernière scène constitue un sommet d’émotion – dommage que le mécanisme imitant couperet se soit grippé un moment au milieu de la procession, heureusement réparé pour les ultimes têtes. Présentée en février dernier à Bordeaux, cette production classique mérite incontestablement de s’inscrire au répertoire.
En cette année Poulenc, on attend donc avec hâte de voir ce que l’incontournable Olivier Py aura pour sa part imaginé cet hiver au Théâtre des Champs Elysées pour mettre en scène le martyre des carmélites de Pontoise. Nantes et Lyon – à des degrés divers – y sont en tous cas parvenu.
GC
Dialogue des carmélites – Opéra de Lyon, du 12 au 26 octobre 2013 ; Opéra de Nantes, du 15 octobre au 7 novembre, et à Angers, les 15 et 17 novembre 2013

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