24 juin 2013
Musée Branly/ Deux amoureux des arts lointains à l’honneur

Quel est le point commun entre Charles Ratton et Pierre Loti? Outre le fait qu’ils soient tous les deux et au même moment l’objet d’une exposition au musée Branly, ils sont passés et ont été marqués l’un comme l’autre par l’Ile de Pâques. Il faut dire que les gigantesques statues totems en plein Pacifique avaient à la fin du XIX ème siècle de quoi marquer les esprits, pour l’un via l’écriture et le dessin lors de son premier périple sur les traces de son frère aîné, Gustave Viaud  et pour l’autre  dans sa découverte des arts primitifs pour lesquels il devint un des plus grands spécialistes jusqu’à sa mort en 1986. Grâce à ces deux figures, c’est en tout cas l’occasion de venir une fois encore découvrir ce musée Branly qui est une véritable réussite tant par ses espaces que sa programmation avec, récemment, un superbe spectacles de tambours africains dans son théâtre Levi Strauss au confort impérial… Et si Loti l’est bien moins (loti!)que Ratton avec juste quelques vitrines en mezzanine, on reconnaît toute la créativité des conservateurs qui ont créé un petit cabinet dans lequel on peut se glisser pour découvrir les odeurs de Rose d’amour, un parfum que l’écrivain mit au point en 1913. Ses costumes sont également exposés  dont on peut ainsi voir la remarquable exécution -il ne s’agissait aucunement de simples déguisements pour une soirée- ainsi que photos, reliques comme tous ces objets qu’il aimait tant emballer dans du papier avec son écriture fine. Son tricot de marin, son béret sont également présents pour donner une idée de celui qui fut un grand marin et eut toujours à coeur de se mélanger avec les marins qui n’étaient pas comme lui, officier. Un cabinet de curiosité fait de papillons, coquillages, autant d’objets lointains que lui rapporta son frère, déjà marin ouvre cette exposition  intitulée « J’arrive, j’aime, je m’en vais » avec l’idée que sans doute ils lui donnèrent le goût du large, des Indes dont on retrouve les superbes photos en noir et blanc qu’il y prit pour remplacer ses dessins; pourtant sa mère, Rochefort et les mondanités le firent toujours rentrer en France, recréant dans sa maison charentaise ses lieux favoris, mosquée avec la stèle de la bien-aimée Aziyadé, Alger ou Constantinople.

Du primitif au surréalime

Charles Ratton fut quant à lui un grand collectionneur, entouré d’objets d’art primitif dont il fut en grande partie le meilleur avocat. Expert et marchand, il ne connut malheureusement pas le musée Branly, ayant légué ses collections à un musée de Louvre qui ne savait alors pas bien quoi en faire, n’ayant aucun département qui lui soit dédié, avant que le Président Jacques Chirac décida de l’existence de ce musée qui semble évident aujourd’hui. « Maniaque de la beauté » comme le surnommait Paul Eluard, son ami, l’exposition s’ouvre sur la reconstitution du magnifique bureau de cet expert reconnu sis rue de Marignan avec des meubles des années 20 entourés de statues et d’objets primitifs pour un résultat saisissant de beauté. En 1930, il fait la première grande exposition au Théâtre Pigalle; les critiques sur le colonialisme montent alors tandis que l’art africain est encore sans réelle cotation. Une autre exposition  en 1937 sur les coiffes au Congo, Man Ray est derrière l’objectif, Helena Rubinstein achète quelques statues puis Charles Ratton s’intéresse aux surréalistes; cage de Marcel Duchamp, violon de Picasso ou encore cette série incroyable exposée de verres déformés par l’éruption du mont Pelée en 1902, « objets perturbés » comme les décrit André Breton. Puis outre-Atlantique, l’art primitif a enfin droit de cité dans les musées avec en 1957 l’ouverture du musée d’Art Primitif à New York. En France il faudra attendre presque 50 ans de plus…

LM

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