28 mai 2013
Marie de la Varande/ De bronze et d’os

Marie la Varande voulait être comédienne. Elle s’est même inscrite à 19 ans aux cours René Simon. Mais, avec un grand-père sculpteur dont elle hantait l’atelier et des parents deauvillais,  forcément inquiets de ce qui augurait d’ une vie de bohème, sa mère opta pour un moindre mal: les Beaux Arts de Caen, où entrée en 1968, elle fut immédiatement adoubée par un vieux professeur. « J’ai été choisie, j’ai été reconnue. » Voilà qui lui évitera de se sentir comme bien d’autres une  artiste maudite, avec un atelier qu’elle ouvrira en Normandie à un peu plus de 20 ans et qui marchera tout de suite, emmenant dans l’aventure sa soeur. « A cette époque on ne ramait pas,  il y avait très peu de sculpteurs ». Et puis, très tôt elle fera aussi de  la restauration, refusant l’art où « l’on met ses tripes sur la table ». En revanche, une autre table- métaphore de celle pour le jeu, ne la quittera plus jamais,  avec cette impression « de vivre ma vie sur un tapis vert » ; miser en pariant sur un thème particulier, faire tirer des bronzes, puis voir si cela se vend. Parier sans cesse,« rien ne va plus », en espérant que la boule tombe sur le bon chiffre. Comme lorsqu’elle vendra à Drouot à côté de Pompon ou Bugatti, échappant ainsi aux galeristes mauvais payeurs. Ou encore en trouvant cet atelier au coeur des Batignolles où ses deux chats de gouttière qui semblent directement sortis d’une pyramide égyptienne, prennent la pose tandis que Radio Classique rythme les heures de la douce communauté d’élèves qui viennent chercher ici  le savoir-faire mais également le savoir-vivre, le savoir-être d’une femme qui vit au milieu des livres d’art, amazone courageuse entre Duras et Katharine Hepburn qui aimait à dire « Si vous faites ce qui vous plaît, vous aurez toujours au moins une personne satisfaite »….Dont acte.

 Avez-vous le sentiment de vous atteler à un travail plus qu’ à une oeuvre?

Je dis toujours que je suis plus un sculpteur visuel que quelqu’un qui a quelque chose à dire; je me vois avant tout comme un interprète. On ne va pas réinventer quelque chose qui a déjà été créé mille fois en dix fois mieux. La peinture est devenue aujourd’hui une scorie psychique, une sorte d' »art poubelle ».  Je préfère pour ma part voir du beau. La sculpture n’est pas chez moi un truc pour me soigner, mais parce que je ne peux pas faire autrement, j’ai toujours été rattrapée par elle, avec cette envie très vite d’être un sculpteur animalier.

Pourquoi les animaux?

Le cheval, a toujours été dans ma vie. Mon père était régisseur de chevaux à Deauville; je le vois encore avec ses grosses chaussettes et ses culottes de cheval. C’est aussi mon arrière-grand-oncle qui a construit le champ de course de Clairefontaine. C’est tellement intéressant les animaux, ils disent tout, ils sentent tout; on arrive même à avoir des contacts avec des petites grenouilles, des tortues d’eau. Qui les regarde finit vite par avoir leurs codes; ainsi, on n’ est jamais seul quand il y a un animal.

Quels sont les autres artistes qui vous parlent?

Cela dépend des périodes; Julio Gonzalès, Chilida dans ses petits formats. S’ils m’inspirent? Oui, dans la mesure où je pense que l’on ne vole chez les autres que ce qui vous appartient.

Qu’est-ce que pour vous une sculpture réussie?

Lorsque l’artiste dit quelque chose , que cela reste ouvert et matière à emmener l’autre ailleurs; il faut toujours laisser à l’autre la possibilité de s’approprier l’oeuvre. Il n’y a que dans le XXème siècle que l’artiste a obtenu un statut de star,  tout dans l’ego. Avant, l’artiste répondait aux commandes… même les plus grands, Sargent, Manet, etc…

 Vous aimez toutes les matières?

Oui, le bois, la terre, le bronze. Pour ceux-là, il faut faire un moule puis on travaille à ce qui s’appelle  » la cire perdue ». Après on a environ douze épreuves pour que cela devienne une pièce originale. C’est pour cela que les dimensions sont notées car il y a une rétraction de 10 % qui permet de faire la différence entre une copie qui est plus petite…

Trouve-t’on  encore de bons fondeurs?

Assurément,  mais la qualité a baissé. On a généré toute une génération d’élèves qui n’ont plus l’oeil et donc sont moins exigeants avec les fondeurs; cela entraîne une paresse ! Autrefois, vous aviez 95 % d’artistes et 5 % d’amateurs et aujourd’hui, c’est le contraire.

Comment êtes-vous arrivée à l’enseignement?

Mon père qui était en poste à Abidjan, voulait que je devienne professeur aux Beaux- Arts de là-bas. Mais, pour être vu il faut être à Paris. J’ai trouvé alors un lieu place Dauphine, très haut de plafond, pour que « ça monte »-c’est indispensable pour la sculpture, pour avoir du souffle. Les cours aujourd’hui me payent l’atelier. Vendre une sculpture ça ne permet que de faire d’autres expositions dans les faits, et tirer des bronzes coûtent très cher. Mis à part ces aspects économiques, je  fais partie de ces gens qui ont envie de transmettre;  vous apportez alors des choses  à l’autre,  mais l’autre vous apporte aussi beaucoup. Vous êtes en effet obligé d’aller dans son regard, c’est très intéressant. D’ailleurs, certains de mes élèves ont fini par en faire leur métier. J’ai du coup le sentiment parfois de m’être « tuée moi-même » en donnant des clés; avec leur entregent, mes élèves arrivent alors à vendre sachant que l’oeil est tellement peu exercé chez la plupart des gens qu’ils font assez mal la différence entre une véritable oeuvre et un exercice fait à ses heures perdues. Faire du « sous Claudel », c’est très facile. On a mis l’art accessible à tout le monde comme on l’a fait pour le saumon ou les orchidées. Au final, cela rabaisse tout.

L’art a toujours été vers l’argent…

Oui. D’un autre côté, il faut reconnaître que cette concurrence nous « booste ». Beaucoup d’artistes cherchent aujourd’hui d’autres pistes tout en restant dans l’aspect décoratif qui permet à l’art à tenir. Il y a aussi une bulle financière -a fortiori avec les artistes morts- pour des oeuvres qui sont avant tout devenues un investissement ou un signe de richesse extérieure.

Comment voyez-vous la suite?

Continuer. Je pense que je vais aller de plus en plus dans le design, faire des meubles.

La conversation, la musique, le couvert, rien ne manque ici pour savourer la culture, cette chose qui nous dépasse et nous fait du bien. Ici, on la touche vraiment en pouvant la faire sienne, sous ses mains, voir la terre prendre une forme avec de temps en temps, une sorte d’ange portant lunettes qui vient au-dessus de votre épaule donner de la vie à cette masse en devenir. Un oeil et un sacré personnage, ce qui ne gâche rien à l’affaire…

 

Par Laetitia Monsacré

Atelier Marie La Varande, 6 bis rue Bridaine-75017 Paris- infos sur site

Un des bronzes animaliers réalisés par Marie La Varande

Vue de l’atelier de la rue Bridaine

 

 

 

 

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