20 mai 2013
Daniel Schick/ Le Passeur

Passer la nuit avec lui. C’est ce que Daniel Schick a proposé aux téléspectateurs de France 5 (à revoir sur Pluzz.fr pendant une semaine) la nuit de samedi, à l’occasion de la nuit des musées. Pouvoir en restant chez soi « consommer » une culture bien vivante grâce à trois documentaires inspirés et justement titrés Aux arts citoyens! Car, c’est de cela qu’il s’agit avec ce journaliste qui fait avant tout ce métier pour le contact avec l’autre. Intervieweur sur Europe 1 en prime time, il cultive ce goût à la radio comme à la télévision, prenant plaisir à « déstabiliser »  les plus grands, hommes politiques, artistes, décideurs, avec cette idée qu’il se passe quelque chose. Vélo-cycliste, il dit tenir à sa monture métallique comme à la prunelle de ses yeux, « on touche à mon vélo, on touche à ma liberté ». C’est en pédalant qu’il dit en effet trouver ses idées, étant le seul à avoir pu, dans un access prime time sur France 2 avec la bande de Ruquier, parler d’art pendant sept minutes en faisant venir sur le plateau des tableaux de Picasso ou d’autres « stars », persuadé et les audiences l’ont prouvé « qu’en racontant avec conviction, avec foi son sujet, le plus grand nombre peut être ému par une belle histoire ». Comme celle de son père, né à Saint-Pétersbourg qui a rencontré sa mère dans une fête de patronage, une soirée théâtre de lycée où elle jouait. Cette mère qui lui offrit un abonnement à la Comédie française à l’âge de douze ans, lui demandant car faute de moyens, elle restait dehors, de lui raconter ce qu’il avait vu. La genèse d’une vocation…

Comment voyez-vous aujourd’hui la place de la culture à la télévision?

Les gens ont besoin qu’on leur raconte autre chose que leur quotidien et la crise. Ils ont besoin de rêver et d’apprendre. J’ai des tas d’idées pour commenter l’actualité à travers la culture; le mariage gay, le pape, les usines qui ferment, tout cela a été traité par des peintres, des films, des livres.

Vous écrivez quoi à profession ?

Maintenant, car j’en suis au septième documentaire, je mettrais réalisateur; intervieweur ça n’existe pas. Mais je fais en fait dans une journée plusieurs professions. Cela relève cependant de la même chose: je raconte aux hommes ce qu’ils sont capable de faire, je mets en valeur le talent des hommes face à l’actualité qui montre au contraire en permanence ce qu’ils peuvent défaire. La dictature du fait divers, ça fait longtemps que j’en ai marre! La vie a fait que j’ai fait de la radio, puis ensuite de la télé; aujourd’hui je fais des films mais je ne me considère pas touche-à-tout. Cela voudrait dire que je m’intéresse à tout, ce n’est absolument pas le cas!

Vous avez quand même une bonne dose de curiosité…

Mais je dirais que la curiosité est un devoir de citoyen; pour contester, pour refuser, pour accepter, il faut savoir ce que l’on refuse. Et savoir c’est se renseigner; j’aime comprendre même en dehors de la culture. La politique, l’économie me passionnent.

L’émission rêvée pour vous, ce serait quoi?

Un magazine récurrent pour avoir une visibilité en créant des rencontres, en donnant la parole à des gens avec leurs propres mots pour expliquer ce qui met de la joie dans leur vie. J’ai beaucoup d’amis artistes qui aiment d’autres artistes, qui se sont nourris entre eux; je voudrais aussi que les artistes créent pour l’émission, des reportages avec des gens décalés car personne n’a le monopole de la parole en matière d’art. L’audience? C’est un devoir de la République que de permettre l’ accès à la culture. J’ai compris dès le lycée qu’un individu est libre s’il pense. Et ce qui nourrit le mieux cela, ce sont les artistes. S’il y a une telle violence aujourd’hui, c’est parce que les gens ne pensent plus. Il est fondamental qu’une société investisse pour son futur dans la culture, qui répond aux préoccupations courantes; ce n’est pas quelque chose de lointain. Le terroir de la violence est l’absence de connaissances, la culture elle apporte du lien entre les gens. Je montre d’ailleurs qu’il ne faut pas avoir peur de la différence dans mes films.

Vous avez arrêté la radio?

C’est parfois un dilemme terrible car un film, c’est plusieurs mois passés parfois en marge pendant lesquels vous ne pouvez pas faire une quotidienne à la radio. Et vous prenez le risque qu’on vous oublie. En France on est très « ou / ou « ; pour moi, c’est « et/et ». Cela va dans le même sens mais il y a un prix à payer qui est une éventuelle marginalisation.  L’été dernier, je faisais l’interview du matin en  prime time d’Europe 1 et j’ai fait deux films.

Que cherchez-vous dans une interview?

Je cherche à être déstabilisé par l’originalité de la pensée de l’autre; je travaille tout énormément. J’ai besoin de tout connaître de  l’invité, de rêver l’interview, d’imaginer les questions et les réponses. J’apprends par coeur mes questions pour être dans les yeux mais, avec dans ma tête exactement le parcours de l’interview. C’est de l’équilibrisme entre maîtriser, aller là où l’on veut mais aussi s’adapter à l’humeur de celui qui est en face de vous. Il ne faut pas se laisser déborder car sinon l’invité fait ce qu’il veut de votre interview entre promo, langue de bois et banalités. J’aime bien l’idée de rupture, poser des questions et quand je commence à m’ennuyer, j’interromps et je le lance sur autre chose. Il y aura alors un énervement, un sourire qui voudra dire quelque chose. J’ai besoin de savoir, c’est pareil pour un film, il faut savoir où mettre la caméra, anticiper les réponses.

Quelle place laissez-vous à l’inattendu?

Mais je n’attends que cela; qu’on me résiste ou que l’on me dise que je vais trop loin mais je n’ai que huit minutes! On ne peut pas être dans l’improvisation. Je pense qu’un bon intervieweur est à la fois dans la maîtrise et le lâcher-prise. Et être très intuitif, comme un animal. J’en sors épuisé car je suis complétement tendu, en vigilance absolue. Brigitte Engerer qui était une amie,  était à la fois une vraie lionne et à la recherche de l’abandon.

Vous avez noué des amitiés avec les gens que vous avez interviewés?

Oui, car interviewer repose sur la confiance, comme l’amour ou l’amitié. C’est la confidence, c’est le jeu, alors si pendant une heure vous n’êtes pas en complaisance, mais que vous êtes attentif à l’autre, on est dans le domaine presqu’amoureux; il y a aussi ceux qui vous en veulent de certaines confidences et donc qui brisent tout lien après. Ils considèrent qu’ils en ont trop dit. Ceux qui sont devenus des amis ont au contraire pensé que cela méritait leur amitié. Aller trop loin, c’est en fait aller « très près ». Est-ce que l’on ne fait pas ce métier parce que l’on veut rencontrer les gens que l’on admire? Mais pour être ami, il y a des fondamentaux humains que je dois trouver chez l’autre. Ceux que je ne « sens » pas, je ne peux pas les recevoir. Cela me prend dix secondes, je protège beaucoup l’animal intuitif chez moi. J’ai d’ailleurs besoin de beaucoup de temps seul pour cela.

C’est vrai qu’avec la technologie les gens se sont beaucoup coupés de cela…

Je ne pense pas que les gens se soient coupés mais c’est la technologie qui a pris l’ascendant sur la vie des gens et je trouve cela dangereux. Regardez le spectacle vivant comme il marche. Les gens ne sont pas satisfaits de cette technologie et ils se réfugient dans l’art comme en témoigne le succès des expositions. Les gens qui dirigent « gèrent »; ils n’ont pas le temps de penser et cela donne la violence. Mais prendre le temps n’est pas rentable;  pendant que je regarde, je ne suis pas rémunéré. Découvrir, c’est ne pas savoir où l’on va. Là, je suis parti trois semaines en France dans des endroits où le portable ne passait même pas alors qu’on est en plein mercato (le marché des animateurs). J’ai rencontré des tas de gens, des fous de danse dans des pays où l’on pense que l’on croit que l’on ne fait que du rugby, des patrons, des collectionneurs secrets. Comme je suis une personne « très âgée », j’ai réalisé que tout ce que l’on découvre et apprend, sert toujours. Un tableau, une phrase entendue peut vous servir vingt ans après, nourrir une émission de télé. Ce n’est pas immédiatement rentable, cela se cache quelque part mais ne disparaît jamais.

Voilà. Une heure est passée. Il va être en retard, en plus ce matin, il a, avec son vélo, crevé. De quoi sans doute le ralentir un peu. Mais aussi l’occasion de raconter une histoire de plus à qui voudra bien l’écouter…

par Laetitia Monsacré

 

 

 

 

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