12 mai 2013
David Lacombled/ Citoyen du Net

David Lacombled est grand. Il dépasse d’une bonne tête ses congénères, de quoi sans doute voir avec une plus grande facilité au loin…Les années 90,  la sphère commerciale s’intéresse à ce moyen d’échanges de données révolutionnaire jusqu’alors réservé aux militaires, Internet. Ancien journaliste, il travaille alors auprès de François Léotard au ministère de la Défense. Et abordera donc avec plusieurs longueurs d’avance ce tournant digne de l’invention de l’imprimerie. Diffuser l’information au plus grand nombre comme son métier lui en offre aujourd’hui la possibilité via Orange, premier distributeur de contenus numérique en France.  Il  participe à leur élaboration en partenariat avec des médias reconnus -AFP pour la chaîne Orange actu, le Figaro pour le Talk Orange et prône dans un livre qu’il vient de publier chez Plon, Digital Citizen, un « humanisme numérique », pour faire suite à ceux qu’avait pointés en son temps Levi-Strauss: l’humanisme aristocratique de la Renaissance, celui, bourgeois du XIX ème siècle et démocratique du XXème siècle. Et ainsi pouvoir lutter entre autres contre  » la dictature de l’urgence » que nous impose aujourd’hui Internet mais « qui a débuté avec les chaînes d’infos continues et ce syndrome Samaritaine, selon lequel il se passe toujours quelque chose… même lorsqu’il ne se passe rien » précise-t’il avec cette idée qu’il ne faut ni diaboliser ni encenser ce qui est et doit rester « un outil ». L’entretien a lieu Rive gauche, où il travaille, vit et a trouvé son éditeur.

Qu’est-ce qu’aujourd’hui un bon contenu sur Internet?

C’est celui qui trouve son public! Aujourd’hui les éditeurs ne développent pas forcément la même ligne éditoriale sur le Net et sur le papier. Lors des attentats à Londres en 2011, il y avait des envoyés spéciaux qui faisaient un travail d’enquête pour leur journal et sur Internet, les mêmes journaux se contentaient d’un simple relais d’information. Ce n’était pas du tout le même travail. Il y a en plus désormais une interaction qui met une pression incroyable sur les journalistes en fonction des pages vues afin de définir quels sont les angles et articles à traiter dans l’édition papier. Cela change la nature des rédactions quand bien même elle n’est pas très digitalisée.

Comment doivent d’après vous réagir les médias face à ce nouvel ordre?

Il y a une phase d’apprentissage comme on a pu le voir au début avec tous ces journalistes qui sont arrivés sur Twitter et l’ont pris pour une salle de rédaction en oubliant que c’était regardé par beaucoup d’autres. Il y a un vrai danger de rechercher le scoop ou le buzz aujourd’hui pour être le premier à publier sur le sujet. Cela passe par les écoles de journalisme car à la question de savoir quelle était leur principale source d’information, les journalistes répondaient il y a cinq ans, Google! Voilà qui est accepter d’être au même rang que leurs lecteurs…Ce n’est pas tenable dans la durée.

Est-il vrai que le premier article qui arrive dans une recherche est celui qui a été le plus vu?

Dans la plupart des cas, oui, ce qui conduit des rédactions à n’avoir des journalistes que pour réécrire les titres et les chapeaux d’heure en heure pour changer l’attraction de leur propre article. Pour être bien référencé, on emploie aussi des formules-types ce qui fait perdre beaucoup en fluidité. Pour un journaliste qui a fait des études, c’est un peu comme se retrouver en « batterie » à faire du rewriting au service d’un moteur de recherche.

Car l’idée première est de se distinguer dans la masse et pour certains de survivre, n’est-ce pas?

Les éditeurs sont effectivement confrontés à un effet de ciseaux tout à fait effroyable  avec une valeur des contenus divisée par dix entre le journal papier et l’édition numérique. Et le sentiment pour l’internaute que la gratuité est un dû . Pour résister,  il va falloir qu’ils innovent, notamment avec la vidéo. Et établir des partenariats qui est la logique même d’Internet. Il faut également aller très vite car on n’est plus dans l’innovation mais dans la disruption permanente- des ruptures très rapides comme je l’explique dans mon livre. Il faut par ailleurs de la concurrence car si vous n’avez qu’un acteur, cela limite considérablement l’offre et donc la demande. C’est ce qui se produit actuellement avec le livre où l’offre en raison des coûts de numérisation est encore très faible (40 000 en édition numérique à comparer avec les 600 000 en édition papier). Il y a également un autre danger avec les monopoles comme on a pu le voir en matière de photographie de presse; l’agence américaine Getty qui a racheté beaucoup d’autres agences en France n’a ainsi pas numérisé tous leurs fonds.  Ainsi, il arrive désormais qu’il n’y ait plus qu’une seule photographie existante et que tous les journaux reprennent du coup la même! Il est important de favoriser la pluralité et la diversité surtout avec la culture qui parle local là où le numérique parle global.

Reste qu’on assiste à une mondialisation de la culture aussi, avec des films ou des livres faits pour plaire à un maximum de pays…

Il est sûr que pour un James Bond qui dépense autant dans la production du film que dans son marketing, on est dans une logique globale. Du coup, pour les films « locaux », il ne reste plus beaucoup de place…C’est tout le défi pour eux d’émerger et faire entendre leur petite musique.

Quel avenir voyez-vous pour la publicité sur Internet, à part les bannières pas toujours très lisibles ou les pop-up agressifs (fenêtres qui s’ouvrent automatiquement)?

Je fais partie de ceux qui pensent que la publicité contribue à renforcer la valeur de l’information. Un journal sans publicité, ce n’est pas très consistant…Thomas Jefferson disait d’ailleurs que « dans un journal, il n’y a que la publicité qui dise la vérité! ». Il faut que sur Internet, elle sache se renouveler en faisant de vraies offres interactives. Il n’y a pas d’opposition entre le monde numérique et le vrai monde; il est important qu’il y ait des passeurs et qu’on leur donne les instruments et les moyens pour survivre.

Par ailleurs, la gratuité sur Internet serait un leurre selon vous…

Oui, toute gratuité se paie en fait sur la Toile. On touche alors au débat sur les données personnelles entre Facebook ou Amazon. Lorsque l’on passe rue de la Huchette à Paris, il est très agréable de voir tous ces restaurateurs grecs vous inviter à entre chez eux mais si je vais au Trocadéro et que j’ai toujours le chef qui me coure après, là ça devient gênant! Or, c’est souvent ce qui se produit sur le Net avec une recherche que l’on peut faire sur un voyage que finalement on ne fera pas et qui continue à s’afficher des mois durant.

Vous citez dans votre livre Francis Gurry, directeur général de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle qui prédit que dans trois ans les journaux traditionnels en papier auront totalement disparu aux Etats-Unis…

Je pense pour ma part que le papier a de l’avenir dès lors qu’il trouve sa place par rapport au numérique. Il y a des supports papier qui vont devenir des suppléments de l’offre numérique avec cette idée que les lecteurs sont de moins en moins prêts à payer plus d’un euro pour les cinq feuillets qui les ont intéressés dans leur journal. Aujourd’hui, ce qui fait la valeur d’un journal, c’est tout ce que l’on n’a pas lu. J’aime bien l’image de se promener en forêt; c’est tout l’environnement, les clairières, les bosquets, la masse d’arbres qui créent l’expérience. C’est ce que propose un journal avec des articles que vous lisez sans avoir de recherche précise et ce qu’un moteur de recherche ne permet pas d’avoir. Il ne s’agit pas seulement d’avoir accès mais comment on se sert de cette information aussi. Comment on la dompte.

Il y a en effet une différence entre information et connaissance comme le rappelle très justement Michel Serres.

Oui, dans notre système éducatif extrêmement hiérarchisé à la française, il va falloir voir si les professeurs acceptent que leurs étudiants fassent du fast checking ( vérifier l’information sur Internet) en même temps comme dans les universités américaines. Cela n’a pas retiré de prestige aux professeurs de Stanford…

Comment voyez -vous la suite à tout cela?

Les appareils n’ayant plus une fonctionnalité précise, on a un écran permanent ouvert sur le monde à longueur de journée. Dans le livre Internet, l’ inquiétante extase de Paul Soriano et Alain Finkielkraut, les deux auteurs rappelaient que la définition d’une institution, « c’est l’endroit où le téléphone ne passe pas ». Or même dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale, on peut se servir de son portable! Alors il y a des débats en permanence sur Big Brother mais Internet oblige plutôt à être sympathique; d’ailleurs on « like » via Facebook sans jamais « disliker ». Il faut toutefois éviter aussi de créer un monde de Bisounours où l’on épouse les causes les plus faciles…

Qui dit culture dit ainsi beaucoup du people en fait sur les sites d’information!

C’est vrai et d’autant plus amusant que c’est un des derniers domaines que la presse traditionnelle a occupés; globalement, ce sont les quotidiens historiques qui ont les premières places pour les sites d’informations sauf en people. Paris Match, Gala se sont fait doubler par Pure people, un pure player ( média uniquement sur Internet) qui est particulièrement efficace en la matière.

La suite est à découvrir dans son livre qui déjà en version digitale et confirme en rencontrant son auteur que l’on peut être un acteur du net tout en affichant une belle sérénité, avoir un poste stratégique chez Orange sans porter le costume et tutoyer son interlocuteur comme dans n’importe quelle start up. Voilà qui est réconfortant…

 

Par Laetitia Monsacré

 

 

 

 

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