18 mars 2013
Emmanuel Chain/ L’homme pressé

Dans le livre de Paul Morand, son héros disait rêver pouvoir faire un plein d’essence sans même s’arrêter. Sans doute Emmanuel Chain partage-t-il ce souhait tant il donne l’impression d’être toujours en mouvement depuis que les téléspectateurs ont pu découvrir en 1988 ce diplômé d’HEC à la présentation de l’émission-phare du dimanche soir sur M6, Capital. Son débit verbal a d’ailleurs de quoi concurrencer celui d’une mitraillette; il semble presque gêné que ses mots ne jaillissent pas aussi vite que sa pensée ou qu’on l’interrompe pour lui poser une nouvelle question. A la tête d‘Eléphant et Cie, société qu’il a créée en  1999 avec Thierry Bizot, il est aujourd’hui l’heureux producteur de Sept à huit sur Tf1 ou de Fais pas ci, fais pas-ça sur France 2.

Devenir producteur pour un ex-animateur, c’est la panacée?

Ça dépend pour qui. Je suis très heureux d’être aujourd’hui producteur car je l’ai toujours été dans l’âme. Capital, je l’ai « produit » en ayant l’inspiration,  l’envie de « faire », et de réunir les talents pour le fabriquer, le porter, le défendre. Après, il fallait quelqu’un pour le présenter;  j’ai le sentiment d’avoir été comme le capitaine de l’équipe de foot qui a été choisi pour tirer le penalty. Mais, j’ai d’abord voulu être journaliste et producteur avant d’être présentateur.

Comment en êtes-vous arrivé là? Vous n’avez pas fait d’école de journaliste…

Lycéen, j’aimais beaucoup de matières: l’histoire, les maths, la philo. J’avais déjà envie d’être journaliste vu que j’étais accro à l’actualité, notamment en dévorant les numéros de Paris Match où ma mère travaillait. C’est d’ailleurs Jean-Marie Périer, jeune photographe stagiaire à la rédaction qui a fait ma photo de nouveau-né! Mais, plus que tout, j’avais  envie d’être libre et indépendant. Je ne voulais pas me sentir enfermé dans une case. HEC s’est donc imposé pour rester libre pour la suite et puis pour tout ce qu’il y a de « vivant » dans l’économie. A 23 ans, j’avais une carrière toute tracée chez Danone mais j’ai choisi de tenter ma chance dans le journalisme. J’ai envoyé plein de CV et j’ai été pris en stage d’été chez France Inter. J’ai fait beaucoup d’antenne à l’époque et Nicolas de Tavernost m’a fait signe au moment où il lançait M6. On a trouvé alors l’idée de Capital avec la volonté de raconter des histoires et d’avoir une liberté de ton. Il y avait aussi la contre-programmation face aux films du dimanche soir, avec un esprit d’entrepreneur incroyable.

C’est ce qui vous a donné envie de créer Éléphant et cie avec Thierry Bizot? 

On s’est rencontrés  à la préparation d’Henri IV ; il a fait l’Essec et a été ensuite chez l’Oréal pendant huit ans. En 1993, il a fait un discours absolument génial à mon mariage où était également présent Nicolas de Tavernost, lequel l’a repéré… On a alors travaillé tous les deux pour M6, moi à la direction de l’information, lui aux magazines puis en 1999, on est partis tous les deux créer Eléphant et Cie. « Eléphant » car on aimait bien le film Un éléphant ça trompe énormément et puis car c’est un animal fidèle. Un de mes grands plaisirs a été de repérer des talents comme Thierry Demaizière.

Et la fiction, c’est un passage obligé dans la production audiovisuelle?

Pas forcément. Nous en avons fait car avant tout avec Thierry, on aimait ça. Lui écrivait des romans et avait vraiment le goût pour cela. D’un point de vue économique, il est très rare de faire une marge avec une fiction. En revanche, on crée du stock, un catalogue que l’on peut monnayer par la suite. J’ai toujours été obsédé par le fait d’avoir un catalogue très large, pour ne pas dépendre d’un seul programme d’autant que 110 personnes travaillent aujourd’hui pour Eléphant et Cie.

Des programmes que vous revendiquez « haut de gamme » comme Fais pas ci,  fais pas ça..

Je pense qu’aujourd’hui les grandes chaînes doivent cultiver des émissions très  identitaires, « premium », voir événementielles. Des séries innovantes comme Borgen, Homeland ou encore des magazines comme 7 à 8. TF1 nous donnent les moyens de faire un très bon magazine avec toutes les exclusivités possibles et la possibilité de jeter si ce n’est pas bon. Maintenant, je suis très vigilant sur les coûts en ayant été à bonne école avec M6. Mais il y a un deuxième phénomène, le low cost. En fait, c’est le « milieu de gamme » qui a vocation à mourir, comme dans beaucoup de secteurs.

Voilà un an, Mohamed Merah était abattu par le GIGN, quel effet cela vous a fait de voir débarquer dans vos locaux la police après le reportage que vous aviez réalisé sur lui pour 7 à 8?

Les policiers faisaient leur métier et nous le nôtre. Contrairement à ce qui a été écrit, ils n’ont pas fait une perquisition mais une réquisition. Ils voulaient avoir les rushes du reportage diffusé pour lequel nous devions protéger nos sources. Notre seul objectif était de faire un sujet qui montrait comment les renseignements intérieurs avaient « raté » Merah, comment il les avait bernés. Cela a ainsi rétabli la vérité pour beaucoup de familles. Maintenant, comme nous avions eu accès aux enregistrements, en diffusant sa voix, je comprends et regrette que cela ait pu être traumatisant. Nous aurions dû être plus vigilants dans le lancement.

Comment cela se passe avec TF1? Vous décidez ensemble des sujets abordés?

Depuis 12 ans, ils sont totalement associés au contenu éditorial avec une réunion hebdomadaire avec la direction de l’information et des magazines. Il n’y a jamais eu le moindre problème.

Vous êtes toujours accro à l’information?

Le matin j’ai choisi de le consacrer à ma famille, d’être avec ma femme et ma belle-fille. Je n’écoute la radio qu’à partir de huit heures moins dix lorsque je pars pour mes bureaux. Je commence alors avec RTL, puis je zappe sur Europe 1. En vacances, j’ai mon Ipad pour les sites d’infos.

Comment réagissez-vous à l’arrivée d’Internet dans la consommation d’informations?

C’est pour moi un enrichissement. Je suis plutôt libéral de nature; il y a des excès, des risques, mais c’est quand même un progrès. Cela a en tout cas obligé les journaux de 20 h à se réinventer, avec des angles beaucoup plus marqués, un éclairage, un approfondissement. Quand on aime fabriquer de l’info, c’est une nouvelle donne qui est très challengeuse avec des journaux télévisés qui ont d’ailleurs gagné en audience. Dans tous les métiers, il y a une remise en question forte grâce à Internet et je trouve cela vraiment bien. Les médias malades sont ceux qui n’ont pas su s’adapter.

Vous aimeriez revenir à l’antenne?

Je m’en passe très bien, je n’en ai pas besoin même si ses six dernières années, j’ai eu deux propositions qui m’ont fait hésiter. Mais je n’y suis pas allé, car je suis très entier et je me sens très « moteur » dans ma société. Si j’y étais allé, j’aurais dû lâcher Eléphant qui est mon histoire en ce moment; je n’ai d’ailleurs pas le sentiment de « travailler » tellement j’ai du plaisir à faire ce que je vais faire en privilégiant de plus en plus ce que je préfère.

L’émission rêvée à produire ou à présenter?

Elle n’existe pas encore. Mais j’ai très envie de m’investir dans la fiction. Je pense que nous avons en France les moyens de produire des fictions qui s’exporteront. J’ai aussi envie de continuer avec des émissions d’information.

Tel un sprinter parti, fidèle à sa réputation avec un léger retard-un quart d’heure- le voilà qui s’est « refait »dans ce café de Montmartre, non loin d’où il habite…En « cavalier seul », l’art de la conversation ne semblant pas son fort, mais avec un professionnalisme qui a fait de lui un « winner » comme on les aime dans le monde de l’entreprise doublé d’un solide manager. Bref, un bon producteur.

Par Laetitia Monsacré

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