22 décembre 2012
David Jones, jamais sans les réseaux

David Jones n’a pas de carte de visite. Pas besoin, lorsque l’on est le patron de l’agence Havas et que c’est la Directrice de la communication du groupe qui organise ses entretiens à la chaîne dans le chiquissime Hôtel Park Hyatt rue de la Paix. Il est ici d’ailleurs comme chez lui, « Je dépense un peu près la moitié des revenus d’Havas ici » plaisante-t’ il, avec le privilège qu’on lui serve son thé qu’il touchera à peine. Dès que cet ancien conseiller de David Cameron se met à parler, il entre en effet « en passion », parlant très vite et sans parvenir à s’arrêter, sur son sujet de prédilection-les réseaux sociaux. Pour eux, il a sacrifié, afin d’écrire son livre On a tous à y gagner,  des vacances en famille en compagnie non pas d’un triple AAA, mais d’un quadruple A correspondant aux initiales de ses quatre jeunes enfants. Leur mère est française, ce qui explique en partie son français impeccable. Pour le reste, disons que ce jeune patron de 46 ans au physique plus qu’avantageux, est ce que l’on qualifie de « brillant » avec, en plus, un accent british plutôt irrésistible.

Etudiant en commerce, attiré par la pub, « d’un niveau incroyable à l’époque en Angleterre », il a décroché, à la faveur d’un tournoi de tennis annulé, un job dans une agence après avoir envoyé une centaine de CV et rappelé en se faisant passer pour un gros client. Dans la moitié des cas, on l’a traité de fou, dans l’autre, on a apprécié son effronterie. Et comme il parle allemand, TBWA l’envoie quelques semaines plus tard avec de larges story-boards chez son premier client qui n’est autre que le groupe géant Henkel;  il se retrouve alors seul à 21 ans devant les dirigeants. Et remporte le budget, « payé 20 000 euros pour deux jours et demi de travail, voyageant en business et dormant dans un hôtel où la salle de bain était plus grande que ma chambre d’étudiant en Angleterre ». Et d’avouer avec un large sourire: « J’ai adoré ça ».

La suite sera une carrière exemplaire. Le magnéto n’est pas encore en marche, qu’il parle avec passion de ce professeur réputé qui, de sa maison en Ecosse, fait  ses cours pour une université anglaise via ses écrans, semble t-il sans que cela ne change rien pour ses étudiants.

Ce livre dont vous assurez la « promo » alors que vous avez sans doute déjà pas mal de travail  et pas vraiment besoin de le vendre pour vivre, c’est pour quoi?

Je suis un grand fan de la technologie. L’écrire a été un des pires jobs de ma vie! Dans la pub, on est habitué à faire des présentations très courtes, l’idée est de réduire, réduire, alors que là, il faut écrire 10 000 mots. J’ai trouvé ça tellement difficile ! Et pour être très honnête, la seule raison pour laquelle ce livre a eu lieu, c’est à cause du bras droit de Bob Geldof qui a fait vendre quatre, cinq des livres les plus vendus en Grande Bretagne; il a organisé le contrat sur sa réputation alors, même si j’étais débordé, je ne pouvais pas lui faire faux bond.

Comment vous êtes-vous organisé pour combiner votre travail de patron d’Havas et écrire?

Disons que j’avais déjà pas mal fait de trucs qui sortaient de ce que j’avais présenté pendant deux, trois ans-tout ce qui était sur le business…J’écrivais au fur et à mesure. Le premier jet avait quatre chapitres qui étaient bons et quatre qui étaient « moyens ». Alors, pendant les vacances de Thanskgiving, tous les matins, je m’y suis mis de 6 heures à midi puis l’après-midi de 14 à 20 heures et après le dîner, je faisais les corrections jusqu’à 4 heures du matin. Je pensais que mes enfants seraient très impressionnés que j’écrive un livre mais en fait,  ils m’en ont vraiment voulu de ne pas aller jouer avec eux sur la plage!

Vous avez rencontré votre femme comment?

Je suis venu travailler trois ans à Paris, où j’ai  joué un petit peu au rugby. Ma femme est arrivée le jour où je suis reparti de l’agence de pub et c’est mon assistant et des collègues qui nous ont fait nous rencontrer un an après car, ils trouvaient que nous étions « identiques ». Ils avaient raison! Trois mois plus tard, elle est venue vivre à Londres, puis après on a vécu trois ans là-bas, quatre ans à Sydney, puis à nouveau Londres et un an à Paris. Depuis 2004, on habite à New York. Quand Vincent Bolloré m’a nommé en mars l’année dernière, c’était un peu le seul truc qui me faisait hésiter car on adore vivre là-bas, mais il a dit que ça lui allait très bien que je reste là-bas.

Votre livre est très optimiste avec un côté « meilleur des mondes », où je vous cite « les gens qui auraient beaucoup d’argent se comporteraient le mieux ». Voilà un voeu pieux, non?

Je pense qu’il faut qu’on se revoie dans dix ans! Je suis convaincu que les réseaux sociaux et la technologie ont créé un monde de transparence absolue. Aujourd’hui, les gens peuvent savoir en un lien tout sur une entreprise, ils peuvent partager ça avec tout le monde, créer des mouvements contre les leaders et les entreprises. En plus, il y a une trace numérique qui n’existait pas avant! Dans la récente affaire Pétraeus, le directeur de la CIA, on a ainsi pu retrouver des milliers de mails échangés avec sa maîtresse. Il y a tellement eu d’événements confirmant cela depuis que j’ai écrit le livre. Regardez le tweet de la première dame de France! On peut prendre les quatre dernières semaines, le patron du trading de Barclays en Asie qui a eu des propos racistes sur les ouvriers chinois; quelqu’un a filmé ça, l’a posté sur You Tube, et quatre heures plus tard, il n’avait plus de boulot! Ou Mitt Romney quand il a dit en conférence que les Américains qui ne payaient pas d’impôts étaient des feignants…Si aujourd’hui, on ne se comporte pas de la bonne manière, on va trouver cela de plus en plus difficile de réussir. La conclusion c’est donc que l’on va aller dans un meilleur sens mais c’est vrai qu’en ce moment on vit une époque « négative ».

Mais information ne veut pas dire sanction, nous le voyons bien dans notre métier de journaliste!

N’empêche que Romney a perdu avec, selon moi, trois tournants: sur ses impôts, quand il a mis du temps à répondre, puis être pris sur le fait de dénigrer les américains pauvres et ensuite avec l’ouragan Sandy, il ne pouvait plus faire de campagne et tout cela s’est joué sur les réseaux sociaux. Obama a gagné grâce à eux la première élection, avec des dons de particuliers pour se financer; cette fois le micro targeting que ses équipes ont mis en place était aussi très bien fait. Qu’est-ce qu’il a fait dès qu’il a gagné? Il a envoyé sa photo en train de faire un câlin à sa femme, le tweet le plus retweeté de toute l’histoire! Et David Cameron a mis sa photo le montrant dans son bureau en train de l’appeler pour le féliciter sur sa page Facebook! Si on avait dit, il y a dix ans que les gouvernements habitués à être dans l’antichambre seraient aussi « visibles »…

Enfin, ça reste un peu un gadget…On n’est pas plus informé de ce qui se passe dans les gouvernements…

C’est ce que l’on disait il y a trois ans en Angleterre. Je pense qu’en France, on assiste aussi à un vrai changement au niveau du business qui est valable partout dans tout le monde.

Au vu de la crise, c’est un luxe d’être un consommateur responsable. Vous semblez ne pas tenir compte du fait que certains achètent seulement un prix et n’ont pas le choix de sanctionner une entreprise qui se conduirait mal…Pareil pour garder son travail.

Bien sûr, mais je pense que nous ne devons pas payer plus cher quelque chose d’éthique. Cela est en train de changer avec justement le fait que chacun est désormais au courant du comportement irresponsable des gouvernements et dans le business. Ce que les banques ont fait est incroyable, donc dans le court terme, c’est vrai que cela sera encore difficile. Mais ce que l’on est en train de voir avec les grandes entreprises, c’est que lorsque les deux produits seront au même prix, tout le monde achètera le produit de l’entreprise qui s’est bien comportée! Tous ceux qui ont déjà fait cela sont en train d’écraser la concurrence comme Patagonia avec sa démarche très respectueuse à la limite de la décroissance. Il y en a tous les jours des nouveaux!

Enfin regardez Apple, ils vendront toujours alors qu’ils se comportent très mal avec leurs salariés et font fabriquer à bas coût! Il n’empêche, je vois que vous avez un Iphone!

Ça va les tuer! Je garantis que si dans dix ans, ils ne changent pas, ils ne seront pas là où il sont! C’est là où Tim Cook est en train de rater l’opportunité de sa vie. J’ai fait un discours en 2004 pour dire cela, mais ils ne répondent même pas; leur communication, c’est eux et Steve Job qui était génial, n’a pas été conscient de cela; avec lui, c’était la vieille école! Il y a dix ans, Dell était aussi puissant qu’Apple, ils ont refusé de prendre le virage design et ludique qui a fait le succès d’Apple. Voyez où ils en sont maintenant!

Il se met alors à parler des imprimantes 3D qu’il a découvertes qui créent des objets comme l’Aston Martin du dernier James Bond ou un rein humain en un quart d’heure que l’on greffe ensuite sur l’homme, sa chargée de communication et moi ouvrant de grands yeux!

Je ne suis pas idéaliste en disant que tout demain sera mieux demain mais, avec BP quand il y a eu la marée noire, un type qui a créé un faux compte a, en twittant, totalement dominé l’entreprise. Les sociétés qui marchent aujourd’hui en étant responsables ont des résultats très supérieurs par rapport à la concurrence comme dans la restauration rapide. On a de plus en plus d’exemples de réussite mais ils font cela pour gagner de l’argent-aucune philanthropie là! Les gens ont les moyens de sanctionner dans le bon sens et le mauvais sens. Goldman Sachs a perdu 2 milliards de dollars de capitalisation boursière en une journée car un de leurs employés a dit sur les réseaux qu’il quittait la banque car « c’étaient des salauds ». Pourquoi cela a eu lieu? Les jeunes sont la génération la plus informée de l’histoire et ont de plus en plus de pouvoir. Ils comprennent aujourd’hui mieux les choses que nous! Consommer, c’est la vie, avec 25 % de chômage en Espagne, il faut de la croissance! Mais il va falloir apprendre à le faire de façon responsable-ce que les jeunes souhaitent de plus en plus. En créant le sommet mondial One young world (décrit comme le Davos des jeunes) avec Bill Clinton, Kofi Annan, Jean-Paul Agon (patron de l’Oréal) et Bob Geldof, on est en train de préparer cette génération de jeunes managers-là qui sont brillants. Sinon, on va mourir. Je crois que fondamentalement , on va aller vers un meilleur monde et que pour réussir dans l’avenir, comme Havas, il va falloir comprendre mieux ce monde et les grandes entreprises qui viennent nous voir en ce moment ont bien compris que c’est le sujet.

Voilà. En trois quarts d’heure, David Jones a annoncé le programme-franchement convaincant. Dehors, il pleut, un SDF fait la manche et j’ai eu un PV sur mon scooter qui pourtant me semblait bien garé. Vivement que tout cela change. Car « on a tous à y gagner »…

Par Laetitia Monsacré

On a tous à y gagner de David Jones, publié chez Pearson, 22 euros

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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