26 février 2013
La vigne et les notes

« On est contents d’être là et ça va se savoir! » Frédéric Lodéon arrive dans la salle du nouvel Auditorium de Bordeaux; Aurélie Filippetti, malade, n’y est pas assise, manquant là une occasion de côtoyer la bonne bourgeoisie bordelaise qui s’est mise sur son 31… Leur maire, Alain Juppé est là aussi, au premier rang du balcon de cette salle flambant neuve, très centrale, sise sur la place Gambetta et qui réserve une surprise de taille: elle est circulaire… Ce qui permet, la chose est rare, de voir de face le chef d’orchestre et être assis juste au-dessus des musiciens, à côté des chœurs. Voilà qui fut amusant comme pour l’hommage rendu à Verdi, ces gens en nœud papillon et robe noire, assis sur les mêmes sièges à côté de vous se levant tout d’ un coup comme un seul homme et se mettant à chanter. Une séquence à l’ image de la soirée, amusante et musicalement impeccable menée de main de maestro par Frédéric Lodéon, l’anecdote savoureuse, qui tentait de dérider sans succès Louis Laforge super concentré, au point de ne pas reconnaître les Quatre Saisons de Vivaldi… En coulisse, une belle fraternité régnait entre nommés et lauréats avec Sabine Devieilhe qui reçut la Victoire de la révélation artiste lyrique, ô combien méritée après sa prestation bluffante de la Reine de la Nuit– vocalement l’ équivalent de montagnes russes où de nombreuses sopranos se sont cassées les dents; voilà donc la relève de Nathalie Dessay assurée avec pour la jeune Caennaise, au physique de cinéma- ressemblant beaucoup à Céline Salette, ce qui ne gâche rien au chant.

Que la musique pétille!

Autre très beau moment, l’hommage à Maurice André avec dix trompettes dont une jeune fille de 14 ans pour les fameuses trompettes d‘Aïda ou encore la musique « en famille » , père et filles Nemtanu interprétant Bach et son double concerto pour violon; sans oublier Frank Bradley, « Bee Gees » chevelu en bottines jouant Gershwin presque debout au piano ou encore Nathalie Stutzmann dirigeant avec une générosité épatante ses musiciens « pour que la musique pétille! » ,  créant des petits retards absolument bienheureux. Ainsi, dans cette salle à la parfaite acoustique,les « chartrons » -nom donné aux aristocrates négociants en vin bordelais-  n’hésitèrent pas à applaudir et lancer des bravos tandis que le téléspectateur profitait lui d’une réalisation assurée par dix caméras plus deux loumas- volant dans les airs pour offrir des plans magnifiques  comme ce piano filmé de haut, vaisseau noir dans un halo bleu pendant The Man I love  de Gershwin, joué par Alexandre Taraud. Lequel reçu la Victoire pour son très bel album Le bœuf sur le toit, démontrant  au passage un talent dans ses remerciements dont beaucoup de césarisés et autres devraient s’ inspirer. Kwamé Ryan, chef d’orchestre originaire de Trinidad,  assura lui aussi le spectacle,  avec un swing et une fantaisie jubilatoires comme dans l’ antre du roi de la montagne de Grieg. Enfin, si Émilie Gastaud repartit bredouille, il faut saluer son courage d’ avoir choisi la harpe, accordant seule en coulisse et en robe de soirée  les 47 cordes de cet instrument pour le moins impressionnant… Voila qui ne risque pas d’ arriver à Milos Karadaglic, digne successeur de Ségovia qui, avec sa guitare dont l’ étui dur lui sert  de repose-pied sur scène,  démontra comment l’on pouvait être pratique tout en étant un interprète brillant de ce concerto d’Aranjez écrit pour donner voix à sa fille « montée au ciel à sept mois ». Puis, Renaud Capuçon, sorti de sa loge lointaine sans écran de contrôle ni de montre, conclua après une prestation endiablee d’un quatuor de Schuman, devant l’ assemblée qui en portait tous une « que la musique n’ était pas une affaire d’ hommes en cravates ». La phrase fit rire un peu jaune mais tout ce monde-là se félicita bientôt comme à son habitude, en se retrouvant autour d’un bordeaux,  avec toutefois du champagne servi dans des verres à vin, dans  le magnifique foyer de l’Opéra de Bordeaux. Du bon vin après de belles notes, que demander de plus…

LM

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